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composé le brouillon. Dans cette lettre, il reproduisait le principal argument en faveur du titre impérial, avec cette adjonction coercitive que les concessions faites par la Bavière, mais non encore ratifiées, pourraient être faites uniquement à l’empereur allemand et non au roi de Prusse. J’avais choisi cette formule exprès pour exercer une pression sur le roi Guillaume, à cause de l’antipathie qu’il avait pour le titre impérial.

« La résistance du Roi et le fait que la Bavière n’avait pas pu parvenir à formuler ses sentimens avaient provoqué tout ce labeur.

« Le septième jour après son départ, le comte de Holnstein était de retour à Versailles avec la lettre du Roi. Le même jour, elle fut remise à notre Roi par le prince Luitpold[1]… »

C’est ainsi que l’on dispose du sort des peuples « qui ne savent pas formuler leurs sentimens, » c’est-à-dire qui n’ont ni gouvernement ni politique.

On comprend que Bismarck insiste sur le mal que lui donna toute cette affaire. Il avait fallu, en effet, une hardiesse inconcevable et une astuce vraiment prussienne pour préparer un pareil escamotage et le mener à bonne fin, de façon à mettre trente millions d’Allemands en poche sans qu’ils y vissent que du feu. Aussi la joie de Bismarck éclate, débordante et empourprée, quand il tient le résultat : l’assentiment de la Bavière fut consacré à Versailles quelques jours après par un acte constatant l’adhésion donnée par le roi. Busch écrit :

« L’après-midi de cette journée historique s’est passé dans une attente anxieuse du résultat. A l’heure du thé, je suis descendu dans la salle à manger. Bohlen et Hatzfeldt étaient là tous deux, assis sans rien dire. D’un geste, ils me désignèrent le salon où le chancelier était en train de négocier avec les trois plénipotentiaires bavarois. Je m’assis, à mon tour, en silence et j’attendis. Au bout d’un quart d’heure, la porte s’entr’ouvrit et M. de Bismarck apparut. Il tenait en main un verre vide et avait l’air rayonnant.

« — Messieurs, nous dit-il d’une voix encore tremblante. d’émotion, le traité bavarois est signé : l’unité allemande est assurée et notre roi devient empereur d’Allemagne. » Notre roi devient empereur d’Allemagne… Ni les peuples, ni

  1. Pensées et Souvenirs, édit. fr., II, p. 141.