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navire en danger d’être torpillé n’a pas de meilleure tactique que de naviguer irrégulièrement en zigzag.

Avec son gyroscope tournant à grande vitesse, ses hélices aux rotations contraires, son moteur à air- comprimé réchauffé, son abdomen bourré d’explosif, ses gouvernails délicats commandés par des servo-moteurs et des manomètres, la torpille est vraiment la plus étonnante merveille que la science au service de l’art de détruire ait jamais réalisée. Une chose pourtant est remarquable et d’une singulière ironie : la torpille a emprunté son nom au poisson bien connu qui attaque et se défend au moyen d’une violente décharge électrique ; or l’électricité est précisément le seul des agens physiques qui n’entre pour rien dans le fonctionnement de la torpille.

Certes la torpille est en soi un engin terrible. Mais, tant qu’elle fut destinée à être lancée par des navires à flottaison positive, c’est-à-dire visibles à distance, par les torpilleurs, son efficacité guerrière fut et ne pouvait être que relativement médiocre. Avant qu’un torpilleur, si vite soit-il, eût le temps d’approcher à bonne portée du croiseur ou du cuirassé qu’il voulait torpiller, il avait grandes chances d’être mis hors de combat à distance par les canons de son adversaire.

Mais lorsque c’est le sous-marin, et non plus le torpilleur, qui s’est servi de la torpille, l’efficacité en a été centuplée. Le sous-marin n’est en somme qu’un torpilleur défilé, ou, si on préfère, masqué derrière l’écran opaque et miroitant de l’eau ; or, dans cette guerre qui est avant tout, sur mer comme sur terre, une question de repérage et de défilement, cette circonstance est fondamentale. Entre un pauvre petit sous-marin en plongée à quelques brasses d’un puissant cuirassé et celui-ci, la lutte est la même qu’entre une batterie d’énormes obusiers repérée, et visible et une batterie de petit calibre, mais bien défilée ; c’est celle-ci qui finalement réduira l’autre au silence comme c’est en général le sous-marin lilliputien qui coulera le Goliath cuirassé. Cela est si vrai que, depuis les expériences du début de la guerre, les flottes cuirassées de haut bord n’osent plus s’aventurer aux abords des havres fréquentés par les sous-marins adverses et qu’elles doivent au repos se barricader dans leurs ports derrière des filets d’acier, comme font, aux pays chauds, les belles indolentes derrière les fines mailles des moustiquaires, seule défense possible contre un misérable insecte.

C’est parce qu’il obéit, grâce à son périscope, aux lois inexorables du repérage, grâce à son immersion à celles du défilement, que le sous-marin armé de la torpille est le plus terrible des engins de cette guerre. Repérage, défilement, c’est partout et toujours les trois quarts