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sommaire des travaux de Joseph Lakanal pour sauver, durant la Révolution, les sciences, les lettres et les arts : là, il assure qu’il a été dix-huit ans professeur chez les Doctrinaires ; il aurait été professeur à onze ans ! Badinages ? Et malins : en 1808, âgé de quarante-six ans, Lakanal suppliait Fontanes de lui faire liquider sa pension de retraite et, pour que l’opération fût avantageuse, il s’attribuait trente-deux années d’enseignement public et salarié par l’Etat. Si l’on ne peut lui compter comme années d’enseignement ses années de Convention, ça le mène à débuter tout petit, presque à sa naissance. Bref, ce Lakanal est à ne pas croire : et, pas puisqu’il n’a été professeur dans les bras de sa nourrice, il n’a été ordonné prêtre malgré lui et sans le savoir au cours d’un évanouissement. Il a été prêtre : et cela même l’engageait à ne pas écrire de viles sottises contre les « mômeries sacerdotales. » Avant d’insulter les « jongleurs » et « bourreaux en étole, » il pouvait se souvenir que le curé de son village lui avait appris à lire.

Le 5 septembre 1792, il était vicaire épiscopal. Par 164 voix sur 310, l’Assemblée électorale de l’Ariège l’envoya siéger à la Convention. Après qu’il eut voté la mort du Roi, la Convention le désigna comme l’un des quatre-vingt-deux commissaires qui se rendraient dans les départemens pour y maintenir l’ordre et pour y provoquer des enrôlemens. Au mois de mars 1793, avec son collègue Mauduyt, il travaille dans l’Oise et pratique des « fouilles » dans le ci-devant château de Chantilly. Fouilles heureuses : il trouve de grandes quantités d’or et d’argent et les plans de campagne du « brigand illustre connu sous le nom du grand Condé. » Dans l’Oise et à Chantilly, Lakanal s’est fait la main. Désormais, il ne sera plus un apprenti. Le 17e jour du premier mois de l’an 11, 8 octobre 1793, la Convention l’envoie à Bergerac, avec mission d’opérer, dans la Dordogne et départemens voisins, une levée de chevaux. Il ne s’agit expressément que d’une levée de chevaux. Mais un conventionnel en mission ne connaît pas la modestie. Trois semaines après le départ de ses commissaires, la Convention les avertissait de ne pas oublier que « leurs fonctions étaient bornées à l’objet de leur création. » Borner à une levée de chevaux l’activité de Lakanal ? La Convention n’y pensait pas ! C’est le 29 octobre que la Convention le priait, en somme, de lever des chevaux et voilà tout. Mais lui, le 3 novembre, il écrivait à la Convention : « Un mot, et je fonde à Bergerac, sans qu’il en coûte une obole à la République, la plus belle de ses manufactures d’armes. » Et, huit jours plus tard, il ordonnait la démolition du château de Badefols. C’était un garçon, Lakanal, qui ne savait pas rester tranquille.