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trop, pourquoi ? Sommes-nous si pressés ? Certes, il est bien évident que, de ce train, nous n’arriverons jamais à écrire toute l’histoire ; fût-elle écrite, nous n’arriverions pas à la lire : mais aussi nous ne vivons qu’une petite existence et ne sommes pas moins entourés d’immensité inconnue dans le présent que dans le passé. L’histoire très méticuleuse est longue et lente : elle donne des parcelles de vérité. Si vous aimez la vérité, ces parcelles vous sont précieuses. La vérité entière, aucune histoire ne la donne ; le passé, c’est la vérité en miettes : aucune histoire ne la raccommode. M. Labroue, depuis des années, étudie la révolution, mais la révolution dans la Dordogne. Et je crois qu’il n’oserait pas écrire une « Histoire de la révolution dans le département de la Dordogne. » Il s’est risqué une fois à prendre toute une commune : La commune d’Angoisse pendant la Révolution. Eh bien ! cette façon d’écrire l’histoire, si elle a des inconvéniens, elle a des agrémens : l’auteur dit tout ; et vous choisissez. Lui-même choisit ; non les documens : il n’en néglige aucun ; mais il choisit, en quelque sorte, son interprétation des documens. Il est d’autant plus libre, qu’ayant offert à son lecteur toutes les pièces du procès, il juge et ne vous oblige pas à juger comme lui. L’érudition de M. Labroue est scrupuleuse à merveille ; sa méthode, fine et patiente ; sa critique, fort avisée. Il n’énonce pas un fait, tout menu, sans l’avoir contrôlé. C’est plaisir de se fier à lui. Mais il a ses opinions et ne tâche point de les oublier. Il n’est pas la dupe, — il a bien raison, — de ces faux devoirs d’impartialité qu’on voudrait imposer aux historiens. Si les historiens devaient être impartiaux, il faudrait qu’on différât de quelques siècles encore tout essai d’une histoire de la révolution. Mais à quoi bon ? L’honnête historien de la révolution ne ment pas au profit de ses idées. Il n’a pas besoin de mentir ; il n’en a pas le goût : plus il a cherché la vérité, mieux il s’amuse à l’admirer ensuite ou à la détester. C’est sur la vérité même que s’appuient les opinions diverses ; l’on se trompe, si l’on se figure que la vérité ne tolère qu’une seule appréciation : la vérité n’est pas si bête. M. Labroue admire la Révolution, Lakanal et ses travaux. Il ne le cache pas. Mais son admiration, qui est sensible de la première à la dernière page de son livre, n’a aucunement modifié les matériaux et la substance de son ouvrage. On peut n’admirer guère la Convention nationale, ses missionnaires, son Lakanal et trouver dans La mission du conventionnel Lakanal dans la Dordogne en l’an II tous les argumens d’une opinion, qui n’est pas celle de l’auteur, au sujet d’une vérité qui, pour plaire ou déplaire, ne bouge ni ne change pas. En attendant que nous soyons morts depuis