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puis l’un et l’autre à la fois. Mais tous les deux sont peu de chose : aucun intérêt dramatique ; valeur musicale médiocre ; style d’orphéon ; vague analogie thématique, — juste assez pour qu’on mesure la distance, ou l’abîme, — avec le début de la Marseillaise. Au contraire, le chœur soldatesque de Berlioz, alternant avec le chœur des étudians et s’y mêlant ensuite, participe de l’action et n’en saurait être détaché. Bien plus, il l’environne, l’enveloppe. Autour d’elle il pose en quelque sorte le décor et crée l’atmosphère. Il respire, il répand la vérité et la vie. « Soldatesque, » disions-nous. Oui, tel est bien le caractère de cette musique. Plus que jamais nous le sentons aujourd’hui. Volontairement, afin de ressembler davantage au modèle, elle affecte quelque chose de rude et de grossier. La dureté du rythme, les accords assénés, les notes épaisses du basson qui chemine, tout, jusqu’au motif même de cette chanson de soudards, tout figure et dénonce la marche, ou la démarche allemande, ce pas lourd et brutal qui retentit et pèse encore, hélas ! sur le sol de notre patrie.

Nos soldats n’ont pas de ces allures. Dans leurs emportemens, fut-ce dans leurs excès, ils conservent une certaine tenue, ou retenue, et des manières bon enfant. Il y aurait une étude à faire, légère il est vrai, mais plaisante, sur la théorie, voire sur la pratique de la guerre selon l’idéal et les traditions de l’opéra-comique français. La Fille du Régiment, le Chalet, fourniraient les exemples ou les types du genre et, comme dit Molière, du « caractère enjoué. » Rien d’innocent, d’anodin comme une action militaire, telle que librettiste et musicien de la Fille du Régiment la concevaient et la réalisaient en 1840 : « Au lever du rideau, des Tyroliens sont en observation sur la montagne du fond. » (Quelle ingénuité jusque dans la mise en scène ! ) « Un groupe de femmes est agenouillé devant une madone de pierre. La marquise de Berkenfield, assise dans un coin, se trouve mal de frayeur, soutenue par Hortensius, son intendant, qui lui fait respirer des sels. On entend le canon dans le lointain. » On l’entend aussi à l’orchestre : un peu, pas beaucoup, et pas longtemps. Tout de suite un paysan accourt, porteur de ce « communiqué » réconfortant : « Les Français quittent la montagne. Nous sommes sauvés, mes amis. » Encore une fois cette représentation poético-musicale de la guerre est d’une bonhomie et d’une vivacité charmantes. Rien n’y traîne ; rien