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populaire entre toutes, à laquelle le musicien de l’Artésienne, en lui laissant tout son éclat, ajouta je ne sais quelle ombre de mélancolie et de rêve. Par la beauté, par la poésie du thème et de ses variantes, nulle autre ne nous émeut davantage. C’est de celle-là toujours, avec une éternelle tendresse pour la contrée qu’elle évoque, pour le chef-d’œuvre dont elle est l’âme, que nous nous souvenons d’abord. Gardons-nous toutefois d’en oublier quelques-unes, plus récentes, mais également nôtres et plus dignes que jamais de nous être chères : la Marche héroïque de M. Saint-Saëns, dédiée à la mémoire d’Henri Regnault, et, du même grand musicien, la petite marche qui termine la Suite algérienne : marche non pas de guerre celle-là, plutôt de revue ou de promenade, et qui rythme gaiement, au soleil d’Afrique, le pas relevé de nos troupiers, j’allais dire de nos pioupious français.

Entre tant de marches, et de tous les pays, il y en a pour les jours de bataille ; il en est aussi pour les jours de triomphe et les rentrées victorieuses : celle d’Aida, par exemple, double et fulgurante sonnerie de trompettes, égyptienne soi-disant, mais en réalité tout italienne, et qui déroule avec ampleur son magnifique cortège sonore.

Une autre, tout autre, se précipite et se rue à l’assaut. Étrangère par le thème, elle est française par la symphonie, par le développement et l’orchestration, plus encore par l’ardeur, la fureur qui l’anime et peu à peu la transforme en véritable, formidable mêlée : vous avez reconnu la Marche hongroise de la Damnation de Faust. Oui, par toutes ces beautés qu’elle reçut du génie de Berlioz, aujourd’hui plus que jamais, nous aimons à la sentir nôtre. Et, toujours aujourd’hui, les pages qui la précèdent nous paraissent également, plus belles et nous émeuvent d’une émotion non encore éprouvée. Quel sens nouveau, plus profond, prennent donc, en de si grands jours, les choses vraiment grandes ! La scène est présente à toute mémoire de musicien. « Plaine de Hongrie. Faust seul au lever du soleil. » En de lentes, longues phrases, chargées d’ennui, le vieil et sombre rêveur exhale la plainte de son âme inquiète. Vainement une symphonie complexe et diverse apporte encore à son oreille les échos de la ronde villageoise et, déjà, les appels de la marche guerrière. Les choses maintenant vont changer autour de lui, qui ne changera pas :