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suivie. Si l’on en croit notre érudit confrère, Michel Brenet, — et comment ne l’en point croire ? — la chose n’a rien d’étonnant, pour peu que l’on mesure « la part alors revendiquée par l’élément militaire et chevaleresque dans la vie publique et privée. » A quoi l’historien musical ajoute, ou plutôt ajoutait (en 1911), quelques observations dont le temps présent accroît encore l’intérêt et la justesse. Les récits, les monumens de l’époque « nous offrent de la guerre une image si différente de celle à laquelle nous sommes aujourd’hui accoutumés ! Depuis que « les progrès de la science » ont permis d’organiser de monstrueuses tueries, où des armées entières peuvent se détruire sans se voir, en se servant d’engins compliqués et sûrs comme des instrumens de précision, on a peine à se figurer ce qu’étaient les combats d’autrefois… où le son terrible des mines et du canon n’étouffait pas les cris de guerre et les éclats des trompettes. » À ces deux derniers élémens joignons le roulement des tambours, — celui-ci, comme la sonnerie des trompettes, imité par le chant seul, — et nous aurons toute la substance musicale, purement vocale, on le sait, d’une Bataille de Marignan et de tant de productions contemporaines et similaires. L’œuvre de Clément Jannequin se composait de motifs très connus, très nombreux, et divers jusqu’à l’incohérence : les uns graves, héroïques, les autres plaisans ou bouffons. Aussi bien, ce mélange réaliste constituait l’esprit même d’un genre alors très à la mode, le « quolibet. » Nous ne saurions trop recommander aux amateurs des « batailles en musique » les pages que leur a consacrées Michel Brenet[1]. On trouve là maint détail littéraire, musical, voire pittoresque, d’abord sur la Bataille de Marignan, puis sur tant d’autres, qui ne furent guère, par la suite, que des imitations ou des répliques d’un modèle demeuré fameux entre tous. Dans le nombre, il y eut même des batailles navales, tout au moins une, la « Guerre marine, » dont l’auteur se nommait Desbordes et dont le texte seul nous est parvenu.

Si, depuis le XVIe siècle, le genre ne s’est ni développé ni renouvelé, la cause de sa décadence et de sa stérilité pourrait bien être la transformation, plus haut signalée, des élémens ou des conditions sonores de la guerre. En somme, et malgré

  1. Voyez : Musique et musiciens de la vieille France ; Félix Alcan, Paris, 1911.