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comme par l’épée. Certains ouvrages de circonstance, présentés au public sous la forme de simples mémoires militaires ou de correspondances de guerre, ne sont en réalité que des instrumens de propagande officielle, destinés à rassurer l’opinion intérieure ou à influencer les neutres. De là la nécessité d’établir, d’après leur degré de véracité et l’indépendance relative de leurs auteurs, quelques catégories dans cette variété presque infinie de témoignages personnels sur la guerre actuelle.

On peut ranger d’abord à part trois récits de visites au front, très divers d’origine, mais présentant ce caractère commun d’avoir été écrits sous l’inspiration directe, presque sous la dictée du Grand État-Major allemand : ce sont ceux du Bavarois Lud, wig Ganghofer, du Suédois Sven Hedin et de l’Autrichien Hans Bartsch[1]. Après s’être fait surtout connaître par la fécondité de sa production comme poète, auteur dramatique et romancier, le premier semble avoir voulu aspirer, à la fin de sa carrière, au titre d’écrivain national : il n’a réussi qu’à se révéler comme un courtisan trop laborieux pour ne pas se montrer quelquefois maladroit. Invité à parcourir successivement les deux fronts d’Orient et d’Occident, il a rapporté de ses pérégrinations guerrières, malencontreusement interrompues par une balle ennemie, des volumes d’impressions où semble dominer le souci exclusif d’inspirer aux Allemands confiance en leur Empereur et en leur armée. On n’y trouve en fait qu’un hymne d’admiration éperdue et continuelle envers les talens de l’un et les vertus de l’autre. — Au surplus, cette apologie ne semble pas d’ailleurs coûter à l’auteur grand effort d’imagination. Pour exalter Guillaume II, qui l’a reçu à sa table, il se borne à décrire minutieusement son installation, s’attendrit sur la frugalité de ses repas, dont il reproduit les menus, rapporte avec un commentaire élogieux les moindres paroles sorties de sa bouche, note jusqu’aux impressions fugitives et jusqu’aux tics de sa physionomie et, pour relever le tout, ponctue de quelques exclamations stéréotypées cette prose de reporter admiratif. Pour glorifier la foule anonyme des combattans, son procédé est plus simple encore : il énumère toutes

  1. Ludwig Ganghofer, Reise zur deutschen Front 1915. Berlin, Ullstein, 1815. — Sven Hedin, Ein Volk in Waffen, Berlin, 1915. — Rudolf Hans Durtsch, Das deutsche Volk in schwerer Zeit. Berlin, Ullstein, 1915.