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grand du côté des Puissances de l’Entente, car l’Allemagne et ses alliés n’en ont pas.

C’est à un simple « poilu, » à un enfant tombé au champ d’honneur que je demanderai l’expression la plus haute et, je crois, la plus exacte du but idéal de la guerre. Il est naturel que ces héros, frappés pour une cause juste, aient su, mieux que personne, pourquoi ils combattaient et il est bon qu’ils fassent, d’outre-tombe, entendre leur voix. Leur âme héroïque était plus éclairée que n’importe quelle assemblée de diplomates. Si les diplomates ne savent pas s’inspirer de cette revendication des cœurs simples et droits, ils manqueront leur tâche ; car ils ne sont que des scribes et les morts dictent.

Je cite donc ces paroles, parmi cent autres, parce qu’elles me paraissent traduire sincèrement et presque naïvement l’aspiration des âmes : « Après le conflit, ceux qui auront pleinement et fîlialement rempli leurs obligations envers leur pays se trouveront en face de devoirs autrement graves et de réalisation impossible quant à présent. Mais, précisément, là sera le devoir de projeter notre effort vers l’avenir. Ils devront tendre leurs énergies à effacer la trace des contacts blessans entre les nations… Les horreurs de la guerre de 1914 conduisent à l’unité européenne. Ce nouvel état ne s’établira pas sans heurts, spoliations, litiges, pour des temps infinis, mais indubitablement la porte est maintenant ouverte sur ce nouvel horizon[1]. » En un mot, le but de la guerre européenne est de faire une bonne Europe : sinon, cette guerre n’a pas de sens. Et c’est pour cela que l’Europe est obligée de faire une Allemagne européenne. Tout le problème est là.

Le traité de Westphalie a essayé de faire une bonne Europe en appliquant à l’Allemagne un certain régime, le régime des « garanties ; » l’œuvre a été manquée dans certaines de ses parties, et c’est pourquoi elle a péri. Nous tâcherons de reconnaître ces points défectueux et qui demandent correction. Les traités de 1814-1815 ont eu le même objet. Mais ils avaient une tare initiale. Talleyrand, qui y prit une si grande part, a, de cela, une vue très claire quand il écrit, au plein de leur élaboration, en visant l’agrandissement exagéré de la Prusse : « Il est évident que l’Allemagne, après avoir perdu son

  1. Lettres d’un soldat. Paris. Chapelot, 1916.