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compte de son impuissance à secouer le joug sous lequel il était asservi et des difficultés au milieu desquelles il se débattait pour conserver une apparence de pouvoir, alors que, pour toutes les choses importantes où il eût voulu faire acte de souverain, sa volonté devait plier devant celle du dictateur. Cependant, dans son entourage intime, on regrettait qu’il se fût appuyé exclusivement sur cet homme contre qui grondaient tant de haines. On le suppliait de l’éloigner.

— Il vous compromet, lui disait-on, et vous expose aux ressentimens dont il est l’objet. Renvoyez-le, et le pays vous bénira.

Mais il dédaignait de répondre aux avertissemens qui lui venaient de divers, côtés et qui témoignaient, il est vrai, chez ceux qui les prodiguaient, d’une ignorance complète de l’état des partis en Bulgarie ; il se taisait et se réservait, jugeant que son heure n’était pas venue.

La fidélité qu’il gardait à son ministre tenait encore à une autre cause. Les menaces de mort qu’à toute heure recevait celui-ci, avaient impressionné le jeune souverain. La peur de l’assassinat est contagieuse. Elle l’était tout particulièrement chez ce prince, dont la pusillanimité devant le danger avait été remarquée par la plupart des gens qui l’approchaient. Ne disait-on pas déjà de lui qu’il ne brillait pas par le courage ? Enclin à un mysticisme maladif, mélangé de fatalisme, superstitieux comme Louis XI, il commençait à se révéler tel qu’il se montrera plus tard, dominé par la crainte de périr victime de quelque bandit. On l’entendra dire alors :

— Vous verrez que je périrai massacré et que je n’aurai pas même un prêtre pour m’assister à mon dernier moment.

En juin 1892, étant en Angleterre, il fait part de ses appréhensions à lord Salisbury, qui s’en fait l’écho auprès de plusieurs membres du corps diplomatique. Il est donc certain qu’elles le hantent, et c’est sans doute depuis le jour où il a constaté combien était redoutable et grosse de périls l’atmosphère de supplices et de sang dans laquelle l’a entraîné Stamboulof. Il est alors convaincu que le souci de sa sûreté lui commande de ne pas se séparer du politicien qui gouverne la Bulgarie. En le conservant, il s’assure un défenseur, car Stamboulof le défendra en se défendant lui-même, tandis que, s’il le