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d’après les considérations politiques et la conviction morale.

Influencée par l’activité et le caractère impérieux de l’intervention de Stamboulof, la cour martiale ne résista pas, et Panitza fut condamné à subir la peine capitale. Il se pourvut en cassation, mais la Cour confirma l’arrêt des premiers juges. Alors les démarches en sa faveur, commencées par sa famille, se multiplièrent pour obtenir de Ferdinand qu’il usât de son droit de grâce. Le prince s’y refusa et, pour se soustraire aux sollicitations, il quitta Sofia à la veille du jour fixé pour l’exécution. Stamboulof partit derrière lui, après avoir fermé sa porte à divers membres du corps diplomatique qui, cédant aux supplications de la femme du condamné, avaient tenté de sauver sa tête. Le 28 juin, Panitza périssait fusillé, sans qu’on lui eût permis d’embrasser sa famille, témoignage d’inhumanité qui acheva de faire de Stamboulof un objet d’horreur pour la majeure partie de la population de Sofia.

Cet acte de cruauté eut une autre conséquence, et celle-là bien autrement grave pour le dictateur. Le nombre s’accrut des révolutionnaires qui déjà s’étaient promis de venger les morts, leur exaspération ne connut plus de bornes, et les plus violens d’entre eux se jurèrent que le tyran tomberait sous leurs coups.

Plus redouté qu’aimé, il ne comptait d’appuis dévoués que parmi les courtisans qui avaient associé leur fortune à la sienne et attendaient tout de lui ; vis-à-vis de la majorité de ses concitoyens, il était plus puissant par la terreur qu’il inspirait que par des services qui ne pouvaient être contestés. Ce n’était pas assez pour tenir en échec ses ennemis et les paralyser. Le 27 mars 1891, on eut la preuve que, loin de désarmer, ils étaient plus que jamais résolus à recourir au crime pour assouvir la haine dont ils étaient animés.

Dans la soirée de ce jour, vers huit heures, Stamboulof sortait de chez le prince et rentrait chez lui, accompagné de son collègue Beltchev, ministre des Finances, lorsque, arrivé devant le jardin municipal qui fait face au palais, il vit surgir quatre individus armés de revolvers. Beltchev était un homme inoffensif, à qui on ne connaissait pas d’ennemis et, certainement, ce n’est pas à lui que les agresseurs en voulaient. Mais la nuit était venue, l’obscurité voilait les visages, et les assassins se trompant tirèrent trois coups sur le malheureux Beltchev, qui