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formation d’un ministère. Comment aurait-il pu se dissimuler les périls de sa situation en entendant Stamboulof exposer ses idées, ses projets, ses volontés, en des termes dont la correction et la déférence n’affaiblissaient pas l’énergie, en y mettant l’accent d’un homme qui vient de gouverner son pays dans des circonstances critiques, et par la manière dont il l’a gouverné, s’est acquis des droits à sa reconnaissance ?

Mais Ferdinand n’est pas embarrassé pour si peu. S’il est contraint de subir la dictature ministérielle, il la subira aussi longtemps qu’il faudra, attendant l’heure où il pourra s’y soustraire, étudiant son terrain, se familiarisant avec la langue de ses sujets, se créant des relations parmi eux, et essayant de s’attacher l’armée sur laquelle il compte pour hâter sa délivrance.

Elu prince de Bulgarie, il est naturel qu’il veuille être le maître dans sa principauté et qu’il aspire à se débarrasser de Stamboulof au moment où il lui sera démontré que la collaboration du personnage ne lui est plus nécessaire. Mais ce n’est pas encore le cas, et huit années s’écouleront avant qu’il puisse s’emparer de la totalité du pouvoir dont, jusque-là, Stamboulof ne lui abandonne que des lambeaux. Ce n’est qu’à partir de 1894 qu’il gouvernera seul et que sa personnalité s’affirmera, avec d’éminentes qualités de comédien, un don excessif de dissimulation, un extraordinaire raffinement de duplicité, une dureté envers les inférieurs, qui n’est égalée que par sa souplesse envers les puissans, signes révélateurs d’un caractère antipathique.

Le 1er septembre, les régens et leurs ministres étaient démissionnaires et, à la demande du prince, Stamboulof formait un nouveau Cabinet. Il en avait pris la présidence et s’était adjugé le portefeuille de l’Intérieur. Son beau-frère Moutkourof était à la Guerre, Jetkof à l’Instruction publique, Stoïlof à la Justice, Natchowitz aux Finances et Stronski aux Affaires étrangères. Par la suite, il ne sera pas toujours aussi heureux dans ses choix, certains de ses collaborateurs ne lui seront pas aussi utiles que ceux-ci ; c’est que Ferdinand, s’efforçant d’appliquer la formule : diviser pour régner, aura semé la division dans le groupe ministériel et y aura trouvé des armes pour se défendre contre les menées du dictateur.