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brûlé Liège et Namur, Malines et Louvain, comme ont brûlé Lille, Arras, Maubeuge, et Rosey ! »

De même encore M. Stilgebauer n’hésite pas à condamner, comme on l’a vu, l’atmosphère de mensonge où les gouvernans s’obstinent à maintenir l’opinion populaire allemande. Il proteste à plusieurs reprises contre les « consignes » imposées à un peuple dont il ne semble pas soupçonner à quel point sa profonde « docilité » naturelle lui rend à peu près indispensable de recevoir ainsi, du dehors, le programme complet de ses sentimens et de ses pensées. Il n’admet pas que, de par le seul fait de la guerre présente, tout Allemand soit strictement tenu de haïr l’Angleterre, « tandis qu’à l’égard de la France il lui est officiellement permis de tempérer sa haine d’une ombre de pitié. » Et enfin je pourrais citer maints traits significatifs attestant que l’auteur à d’Inferno ne regarde nullement comme immérité le prochain échec de l’agression allemande. Victoire, victoire ! s’écrient joyeusement des voix françaises et belges, dans l’un des derniers chapitres du roman, — après que toute la série des chapitres précédens nous a préparés à découvrir, dans cette « victoire » finale des ennemis de l’Allemagne, quelque chose comme un tragique et fatal « jugement de Dieu. »


Mais il se trouve que le « réquisitoire » dressé contre l’Allemagne par le romancier allemand dépasse encore, de beaucoup, la portée dont ce dernier l’a voulu revêtir. A côté des personnages que M. Stilgebauer a expressément chargés d’incarner tel ou tel aspect de la dégradation morale de sa race, il en est d’autres dont il a dessiné l’image avec une sympathie manifeste ; et ceux-là mêmes, ah combien de « barbarie » ils contiennent en soi ! Écoutons, tout d’abord, ce rapide entretien d’un chirurgien militaire allemand et d’une « sœur » de la Croix-Rouge, dans l’hôpital où l’on vient d’apporter le commandant von Berkersburg :


— Allez voir un peu, ma sœur, ce qui se passe dans le lit numéro 18 !

La sœur Ruth s’approche du lit numéro 18, et reste là, un moment, tout embarrassée. Dans ce lit agonise un jeune officier d’à peine vingt ans.

— Eh bien ! ma sœur, qu’est-ce qui vous prend ?

— C’est que je connais l’histoire de ce pauvre petit qui va mourir, monsieur le docteur ! Il était l’unique fils d’une mère qui ne vivait que pour lui...

— Hé ! ma bonne sœur, que voulez-vous ? Un éclat d’obus dans la tête, et comme conséquence, une inflammation des méninges ! Que puis-je