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— Une chose compliquée, monsieur Christian, d’avoir affaire aux Russes...

Le moyen, en vérité, de se fâcher contre un vieillard de plus de quatre-vingts ans ! Aussi Christian se contente-t-il de hausser les épaules ; après quoi, il reprend, de son ton « supérieur : »

— Hé ! vieux père, ignores-tu donc qu’en plus de nos chemins de fer nous avons des zeppelins...

— Ah ! oui, ces machines qui volent en l’air ! fait le vieillard, avec un sourire incrédule.

Cette fois, Christian est sur le point de perdre patience.

— Mais oui, des machines qui volent dans l’air, et avec lesquelles on peut aisément transporter à Londres, par-dessus la mer, toute une grande armée !

— Que dites-vous là, monsieur Christian, toute une armée ?

Enfin le cocher a triomphé des doutes du vieillard !

— Ah ! reprend-il fièrement, c’est que le monde a changé, vois-tu, depuis l’an douze !

En cet instant, le cabaretier tourne les yeux vers l’horloge :

— Je crois bien, monsieur Christian, que je viens d’entendre signaler l’approche du train !

Le cocher se lève, paie son flacon d’eau-de-vie, et promène autour de soi un regard satisfait.

— Hé ! oui, mes enfans, mettez-vous bien cela en tête : il n’en va plus pour nous, en 1914, comme pour Napoléon en 1812 !

Mais voilà que l’octogénaire est revenu à son idée fixe ! Voilà, que de nouveau, il répète à mi-voix, tout en rallumant sa pipe, qui s’était éteinte pendant l’entretien :

— N’importe, voyez-vous ! moi, j’en reste toujours à ce que nous a dit cent fois mon défunt père : d’avoir affaire aux Russes, c’est une chose très compliquée !


Un réquisitoire contre l’Allemagne d’aujourd’hui, — et d’hier : c’est bien là ce que nous apparaît l’lnferno de M. Stilgebauer. A chaque instant, celui-ci nous laisse deviner qu’il est loin de partager l’attachement respectueux de l’énorme majorité de ses compatriotes pour la personne de l’empereur Guillaume, — considéré par lui comme le principal auteur responsable de la guerre, — et que surtout il ne saurait pardonner au Kaiser, non plus qu’à tout le groupe de ses ministres et de ses généraux, le crime d’avoir fait de cette guerre la chose « infernale » qu’ils en ont faite, « une simple lutte de la force brutale contre la force brutale. » Peu s’en faut même qu’il excuse, de la part des ennemis de son pays, les plus dures représailles contre les « atrocités » des troupes allemandes. « Le château du baron von Falkenstein est en flammes, — nous dit-il. — L’incendie est descendu sur lui avec toute la soudaineté d’un jugement de Dieu. Et le voici, ce vieux château prussien, le voici qui brûle, à son tour, comme ont