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Après quoi je n’ai pas besoin d’apprendre au lecteur français que, — malgré ce que j’en ai pu dire moi-même, en commençant, — le village lorrain de Rosey n’a jamais existé. Jamais les innombrables incendies allumés dans nos villages par les troupes allemandes n’ont été précédés, — et plus ou moins motivés, — par des agressions de « francs-tireurs » comme celle dont on vient de lire le récit. Sur ce point, le témoignage de nos commissions d’enquête françaises n’a même jamais soulevé l’ombre d’un démenti, dans la presse allemande. Mais on sait de quelle façon celle-ci, durant les premiers mois de la guerre, — avec une lâcheté dont le souvenir ne cessera point de nous scandaliser, — s’est plu à inventer sur notre compte (sauf, pour elle, à devoir les retirer dans la suite) des histoires du genre de celle des paysans de Rosey attaquant les Prussiens à coups de fusil ou bien à coups de fourche, — sans parler de la légende monstrueuse des pots de vitriol lances à la face des mêmes Prussiens par les paysannes. Et voici que l’écho de ces bas mensonges se retrouve jusque dans le cœur d’un romancier allemand qui s’efforce de son mieux à connaître la vérité, et qui, même par-dessous les fables calomnieuses dont on l’a nourri, a cependant l’impression de quelque chose comme une tache de honte imprimée, désormais, sur l’honneur de sa race !


Non pas à coup sûr que M. Edward Stilgebauer, dans ce roman dont la lecture vient d’être strictement interdite par la censure allemande, non pas qu’il entende se placer « au-dessus de la mêlée, » et demeurer « impartial » entre la cause de sa patrie et celle des ennemis alliés contre elle ! A chaque page, l’auteur d’Inferno nous laisse sentir qu’il s’enorgueillit d’être un Allemand ; et aussi bien l’est-il à un degré incroyable, et par son tour de pensée et par ses procédés de style, de telle sorte que son roman pourrait nous servir de parfait modèle de l’idéal littéraire commun à tous les écrivains allemands de sa génération. Son objet principal n’est nullement de blâmer la conduite de l’Allemagne dans la guerre présente, mais bien de nous décrire l’horreur « infernale, » sinon peut-être de toute guerre en soi, au moins d’une certaine conception (nouvelle de la guerre. Son livre est avant tout une thèse « pacifiste, » chose qui, déjà, suffirait pour nous expliquer l’interdiction du livre en pays allemand. Et pourtant je serais fort étonné qu’un lecteur désintéressé, un Suisse, par exemple, ou un Hollandais, n’emportât point de ce livre le souvenir d’avoir assisté à un réquisitoire contre l’Allemagne. Précisément parce qu’il aime et admire sa patrie, — toujours prêt à s’exalter d’un enthousiasme