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pour qui l’Allemand était moins encore l’oppresseur de leur peuple que l’odieux « hérétique » luthérien, « le mécréant dont la mort était agréable à leur Dieu. « Après quoi, les trois hommes sont conduits, les menottes aux mains, jusqu’à la vénérable église qui, malgré les protestations « fanatiques » du curé, devra sans doute leur servir de prison pour toute la durée ultérieure de la guerre.

Et voici maintenant que le commandant reste seul, dans la grande salle du Café du Raisin, avec l’un des capitaines de son bataillon, — un capitaine qui lui a, tout récemment, sauvé la vie, dans un combat où lui-même au contraire, ce commandant, avait tâché de toutes ses forces à le faire tuer par les balles françaises, parce qu’il avait découvert qu’il était amoureux de sa jeune femme. Les deux officiers causent à loisir, en face d’un nouveau quart de blanc que leur a servi, avant de disparaître, la jeune nièce du maire, lorsque soudain, par la fenêtre ouverte, un coup de feu vient frapper le capitaine Adolphe. Et ce coup de feu n’était qu’un signal : car aussitôt, de toutes les autres fenêtres du village, fusils et pistolets endommagent les Boches qui flânaient par les rues. Et voici également que, sur toutes les portes, apparaissent des femmes, — voire d’aimables jeunes filles, comme la nièce du maire, — qui lancent à la tête des Boches des pots de vitriol ! L’une de ces femmes est même sur le point d’ « arroser » de ce terrible liquide le visage irrité du commandant, lorsque celui-ci parvient à la tuer d’un coup de revolver. Mais, au même instant, un vieux paysan lui enfonce dans le dos les dents pointues d’une fourche à fumier, dont l’une lui traverse la moelle épinière, et va lui enlever, pour toujours, l’usage de ses jambes.

A défaut du commandant et du capitaine, c’est désormais un jeune lieutenant qui se trouve chargé de rétablir le bon ordre. Il se hâte, naturellement, de faire tuer tous les habitans de Rosey, depuis les trois « otages » jusqu’aux petits enfans : mais cela même ne suffit pas à satisfaire son sens inné de « justice rétributive. » Il décide que le village de Rosey doit dorénavant disparaître de la surface du globe ; et tout d’abord ses soldats, sur son ordre exprès, jettent à l’intérieur de chacune des maisons une ou deux de ces bombes incendiaires dont ils ont apporté avec soi une ample provision.


Le vent s’élève, un torrent d’étincelles traverse le cimetière, illuminant, au passage, la figure du lieutenant Schlosser. Mais celui-ci demeure immobile, les yeux obstinément fixés sur la vieille église, dont il voit sortir précipitamment une volée de pigeons, chassés tout à coup des nids