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ces étranges machines de guerre, surnommées tanks, dont l’apparition suscita une si vive curiosité. Officiellement appelées H. M. L. S. (His Majesty Land Ship), navires terriens de Sa Majesté, ces monstres présentaient l’aspect de gigantesques tortues, longues, basses, à carapace d’acier couleur poussière, aptes à progresser en terrain chaotique d’assaut, capables de renverser des murs d’un seul choc, de traverser des bois et des réseaux de fils de fer, de franchir les tranchées, de descendre et remonter les bords d’un entonnoir, et destinées spécialement à attaquer directement les mitrailleuses ennemies. On a vu de ces engins fantastiques travaillant à l’attaque du château de Thiepval, marcher sur des mitrailleuses en action, les écraser et en broyer les servans. On les a dépeints comme des bêtes apocalyptiques et formidables, invulnérables, irrésistibles, crachant la mort de toutes parts au moyen de fusils-machines et de canons légers, et semant la terreur dans les lignes ennemies : tels jadis les éléphans de Pyrrhus, à l’épreuve des glaives et des traits, jetant l’effroi dans les cohortes romaines.

C’est l’inauguration d’une tactique nouvelle, dont l’importance ira grandissant, le combat de la mitrailleuse protégée mobile contre la mitrailleuse fixe en action [1].


Ainsi dans la défensive les mitrailleuses travaillent de concert avec l’artillerie, mais chacune avec un objectif différent. Tandis que les premières se chargent d’arrêter les vagues d’assaillans, l’autre dirige en arrière de celles-ci ses fameux tirs de barrage qui, par un rideau de feux très dense, interdisent l’approche des réserves ou détruisent ces dernières.

Enfin, tandis que les obus, de par leurs effets d’éclatement, ont plutôt tendance à disperser les corps humains qu’à les entasser, les monceaux de cadavres dont il est fait mention au cours des grandes opérations sont principalement dus au tir

  1. La mise au point des tanks et leur application pratique est l’œuvre du lieutenant-colonel Swinton ; leur développement est dû à un entreprenant homme d’affaires, le major Stern.
    Il est curieux de remarquer qu’en vertu du monopole qu’ils prétendent s’arroger en matière de machinerie guerrière, les Allemands n’ont pas manqué de revendiquer cette invention comme issue d’un cerveau germanique. Le Lokal Anzeiger en faisait la déclaration « dans l’intérêt de la vérité historique ! »
    Selon lui, un modèle de croiseur terrestre aurait été établi en 1913, par un ingénieur de Kœnigsberg, nommé Gœbal ; et le H. M. L. S. n’en serait qu’une pâle imitation !