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volonté. Jamais elle n’envisage d’autre paix que celle qui consacrera son triomphe incontesté. Et elle est toujours décidée à payer cette paix-là le prix qu’il faudra. Aucun sacrifice ne lui semble trop lourd. Elle n’épargne ni sang ni argent. On voit, dans les batailles, ses magistrats et ses sénateurs faire, les premiers, bon marché de leur vie. On les voit aussi porter, les premiers, leur or à la banque nationale.

Admirons enfin le souci que marque Rome de se réformer, et d’apprendre tout ce qu’elle ignorait à l’origine. Elle répudie ses principes constitutionnels fondamentaux pour assurer l’unité du commandement. Elle fait subir à son armée des transformations qui la rapprochent de l’armée permanente et de l’armée de métier. Elle se met, pour ainsi dire, à l’école d’Hannibal. Elle organise des services de renseignemens et de propagande imités des siens. Elle s’assimile ses principes stratégiques, et jusqu’à son esprit de mobilité et d’audace. Le meilleur élève d’Hannibal, c’est Scipion l’Africain.

Appuyée sur un moral aussi élevé, la supériorité matérielle incontestable de Rome ne peut manquer, tôt ou tard, de lui valoir la victoire. Hannibal ne dispose que d’effectifs limités. Il ne semble pas qu’il ait jamais sous ses ordres plus d’une cinquantaine de mille hommes. Ces effectifs fondent vite, malgré tous les ménagemens possibles, et les moyens manquent de les renouveler. Rome, au contraire, d’après un recensement fait après la première guerre punique, peut lever sept cent mille fantassins et soixante-dix mille cavaliers. Sans doute elle ne peut pas armer, entraîner, encadrer tous ces hommes simultanément. Mais elle peut les appeler au fur et à mesure de ses besoins. Elle est assurée de ne jamais tarir les sources de son recrutement, et de maintenir toujours le niveau de ses effectifs. La guerre d’usure, qui éprouve cruellement Hannibal, n’a pas de prise sur elle.

Il en est du matériel économique comme du matériel humain. Rome dispose de ressources considérables, et elle les administre diligemment. Pour les approvisionnemens et les armes, elle possède des magasins régulièrement constitués, qui lui fournissent tout ce dont elle a besoin. Hannibal au contraire vit d’expédiens, au jour le jour, et aux dépens des pays occupés. Et, pour peu que les Romains réussissent à faire le vide autour de lui, son armée souffre de la famine.