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L’APPEL DU SOL

DERNIÈRE PARTIE [1]


VII. — LA BATAILLE CONTINUE

Les mitrailleuses allemandes ronflent comme un moteur ; leurs projectiles volent en l’air en bourdonnant, ainsi qu’un essaim de pierres lancées par des frondes. Les feux de salve se succèdent : une décharge, puis une autre, puis une autre. Vaissette a l’impression d’une roue, la roue des loteries foraines, qui tournoie en flamboyant, dont chaque rayon vous aveugle. Cela dure l’espace d’une seconde. Derrière, un clairon joue encore. A présent, il sonne la charge. Brusquement, la note s’achève en un appel de cor déchirant : l’homme a eu son compte. On court encore ; on voit l’éclair fulgurant qui jaillit du canon des fusils allemands. Ils sont là, à quelques mètres : on va les saisir. Il semble que la terre vacille et que la roue vous saisisse dans son tournoiement...

Le sous-lieutenant vient de s’aplatir à quelques pas de la tranchée. La souffrance de la chute le rappelle à lui.

— Pourtant, dit-il, je ne suis pas blessé.

Il n’est pas blessé, pourquoi donc est-il couché ? Il est comme un naufragé qui se débat ; il ne peut remuer les pieds : quelqu’un doit les tenir... C’est un réseau de fils de fer, courant au ras du sol, qui l’a jeté à terre.

Et tout le flot humain vient se briser contre l’invisible et fragile rempart. En haut aussi, il y a un réseau de fer :

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 août.