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l’a pas préparée ; elle n’a ni plans arrêtés, ni moyens appropriés. Contre un adversaire qui a tout médité et tout décidé d’avance, elle est réduite à improviser, à tâtonner, à « se débrouiller. »

Il y a des défaillances tenant à l’organisation militaire. Rome n’a pas d’armée professionnelle. Elle ne possède qu’une armée de citoyens, levée annuellement, aussi solide, à vrai dire, que pareille armée puisse être, mais dépourvue cependant d’élémens organiques stables, et obligée de se reconstituer intégralement au commencement de chaque printemps. Elle n’a pas de cadres constitués, pas d’états-majors permanens, pas de généraux ni d’officiers de carrière. Elle fait la guerre avec des miliciens à des soldats de métier.

Il y a des défaillances tenant au régime constitutionnel et aux divisions politiques que ce régime entretient. Le partage de l’autorité suprême entre deux consuls paralyse les initiatives. D’ailleurs le choix des chefs dépend de toutes sortes d’influences, et des moins avouables. Les assemblées obéissent à des passions mesquines, et ne veulent envisager le salut de la patrie que du point de vue électoral. Elles écoutent les bavards incompétens, qui professent ce qu’ils ignorent, elles mécontens éternels, qui exercent à tort et à travers leur critique corrosive. Elles confient la direction des armées à des financiers ou à des orateurs de réunion publique. Et toutes ces sottises profitent à un adversaire qui jouit d’une autorité absolue et incontestée, et qui la conserve indéfiniment. A Rome, c’est la dispersion et l’instabilité. Dans le camp carthaginois, c’est l’unité et la permanence.

Une dernière faiblesse tient enfin à la formation de cette fédération de républiques rurales qui gravite autour de Rome. Elle ne constitue pas une nation. « Les colonies et les municipes reliés étroitement à Rome n’occupent même pas moitié du territoire italique, et l’autre moitié appartient aux cités alliées, républiques aristocratiques pour la plupart, qui continuent à vivre d’une vie isolée et locale [1]. » Somme toute, la lutte de l’Italie contre Hannibal ressemble à la lutte d’une coalition contre un adversaire unique. La coalition, si riche qu’elle soit en hommes et en ressources, tire rarement de ses avantages le meilleur parti.

Mais, malgré toutes ces causes de faiblesse, Rome ne peut

  1. Ferrero, Grandeur et décadence de Rome, trad. Urbain Mengin, I, p. 21.