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dirigé vers l’Ouest, soumettant plusieurs villes de l’intérieur. Cette marche l’expose à se faire couper de la mer. Elle se justifie pourtant : le général romain tient à effectuer sa jonction avec Massinissa. Il y réussit. Il dispose alors de 29 000 fantassins et 7 000 cavaliers. Hannibal, avec sa promptitude ordinaire, a discerné l’imprudence de son adversaire, et, sans même prendre le temps d’organiser entièrement son armée, il s’est porté à sa rencontre. Après avoir séjourné à Zama, il l’atteint à Narragara (aujourd’hui Sidi Youssef, à la frontière de l’Algérie actuelle). C’est là que se produit le choc décisif. Le chef carthaginois, plus hardi que jamais, cherche à exploiter la supériorité de son infanterie en l’engageant par vagues d’assaut espacées. Par malheur, ses troupes se plient mal à cette tactique nouvelle qui les déconcerte, et elles laissent à la cavalerie romaine le temps d’enlever la victoire dans une charge irrésistible. Vingt mille Carthaginois périssent. Le reste est fait prisonnier ou s’enfuit. Les morts de la Trebbia, de Trasimène, de Cannes sont vengés. La bataille dite « de Zama » se place à la date du 19 octobre 202. La paix se négocie l’année suivante. Carthage abandonne toutes ses possessions hors d’Afrique, et descend au rang de tributaire de Rome.


Ainsi s’achève ce drame qui a duré dix-sept ans (218-201). Il n’y a plus qu’à conclure, en résumant les causes des succès temporaires d’Hannibal, et du succès définitif de Rome.

Les succès d’Hannibal ont toujours provoqué autant de surprise que d’admiration. L’invasion d’un pays aussi fort et aussi riche en ressources que l’était alors l’Italie, par une poignée de soldats à peu près coupée de sa base d’opérations, était une entreprise d’une hardiesse inouïe, — un défi à toutes les règles ! Et l’on reste confondu du génie de l’homme qui a presque gagné cette gageure. Mais, il faut le reconnaître, la qualité exceptionnelle d’un chef n’est jamais le seul facteur de la victoire. Hannibal lui-même eût échoué dès l’abord, si Rome n’avait pas prêté le flanc à son attaque. Sa fortune est faite surtout des défaillances adverses.

Quelles défaillances ? On a déjà pu les discerner.

Il y a des défaillances tenant à une préparation insuffisante. Rome n’a pas voulu cette guerre ; elle ne l’a pas prévue ; elle ne