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d’Hannibal : coïncidence suggestive, qui, en appelant le fils à venger les revers du père et à réparer ses erreurs, accentue encore cette impression de drame supérieurement conçu que suggère la deuxième guerre punique. Si le père avait toujours eu la fortune contre lui, le fils, en revanche, avait fixé les faveurs de l’inconstante déesse. Bien né, intelligent, courageux, aimable, il eut en outre le mérite d’arriver au bon moment. A vingt-quatre ans, personne n’osant solliciter le commandement de l’expédition d’Espagne, il le demanda et fut choisi d’enthousiasme. Il remporta les plus brillans succès, prit d’assaut Carthagène, et soumit tout le pays. A son retour, il proposa de conduire les légions en Afrique. Il brigua le consulat avec ce programme, et fut élu, quoique n’ayant pas l’âge. En 204, après avoir triomphé de toutes les oppositions, il débarqua près d’Utique. Carthage, terrifiée, lui opposa une armée improvisée, qu’il n’eut pas de peine à battre à deux reprises. Il détrôna le roi numide Syphax, infidèle à l’alliance romaine pour l’amour de Sophonisbe, et lui substitua Massinissa, qui devait lui fournir un concours précieux dans la bataille décisive.

Réduits à l’extrémité, les Carthaginois demandèrent un armistice, parlèrent de traiter, pour gagner du temps, et se hâtèrent de rappeler Hannibal, Celui-ci obéit sans hésiter. Il s’embarqua à Crotone. Quel fut alors son état d’âme ? Eprouva-t-il quelques rancœurs devant ce naufrage de ses dernières espérances ? On peut le conjecturer sans grand risque d’erreur. Mais les historiens ne fournissent aucune information valable sur ce point : car on ne peut attacher de créance aux commérages de Tite-Live et de Valère-Maxime ; ils prêtent au chef carthaginois d’invraisemblables et stériles fureurs. En réalité, cette âme profonde a gardé son secret. Lui parti, Rome respira. C’était la fin du cauchemar. C’était la délivrance !

Lorsque Hannibal débarqua en Afrique, il avait encore 12 000 de ses vétérans. Ils formèrent le noyau de son armée. Il y joignit 12 000 mercenaires recrutés en Gaule, en Ligurie, en Mauritanie, et à peu près autant de miliciens puniques et libyens. Mais l’arme qui avait fait jadis sa force, la cavalerie, manquait. A peine disposait-il de 2 000 Numides et de quelques escadrons carthaginois. Désormais la plupart des Numides servaient Rome.

En apprenant le débarquement d’Hannibal, Scipion s’est