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les préceptes, et ils arrivent à imposer leur méthode à leur terrible adversaire. Ils le « grignotent. » Ils font le vide autour de lui. Ils interceptent ses convois. Ils enlèvent ses détachemens. Ils évitent soigneusement la bataille. Là seulement où il n’est pas, ils risquent des opérations de grande envergure. C’est ainsi que Marcellus s’empare de Syracuse (en 212), et réduit, deux ans plus tard, la Sicile en province romaine. Dans le même temps, les Scipions conquièrent l’Espagne. Rome s’assure, dès 213, l’alliance de Syphax, roi des Numides, lui fournit des instructeurs pour réorganiser son armée, et porte ainsi à la cavalerie punique un coup dont elle ne se relèvera pas. Elle crée enfin à Philippe de Macédoine tant d’embarras qu’il se décide, en 205, à conclure la paix, — une paix « honorable. »

Mais que dire de la lutte en Italie pendant ce temps ? Une lutte d’usure ne se raconte pas. Celle-ci a duré treize ans ! Treize ans de combats incessans et sans éclat, ou treize années de maladie de langueur. Rien de brusque, de rapide, de décisif. Le brouillard au lieu de la tempête. L’intérêt se disperse entre une foule d’événemens dépourvus de relief. Les « communiqués,))s’il y en a eu, ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Le témoignage de Polybe nous manque précisément pour cette période. Mais ces communiqués, si nous les possédions, seraient ternes et monotones. Ils signaleraient des escarmouches médiocres ; des coups de main aux succès divers, des élémens de retranchemens pris et repris. Ils nous dissimuleraient le développement intérieur des situations, et le changement d’équilibre des forces. Nous ignorerions ce qu’il se cache d’horreur, d’effort et de détresse derrière la mention d’une « nuit calme » ou d’une « situation inchangée. » Nous ne saurions jamais quel jour Hannibal a manqué d’or pour payer ses troupes, ni quel jour ses troupes ont manqué de pain...

Donc Hannibal est bloqué dans l’Italie méridionale. Il est bloqué... Entendons-nous. Il s’agite fébrilement, comme une bête aux abois, et malheur à qui le serre de trop près ! Mais il est bloqué tout de même. En 212, grâce à une trahison, il s’empare de Tarente. Mais en 211, il ne peut empêcher Capoue de retomber aux mains des Romains, et, en 209, il reperd Tarente. Peu à peu il recule vers la Calabre.

En 207 seulement, son étoile reprend quelque éclat. Les