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de la classe la plus jeune, celle qui n’a que dix-sept ans. Jour et nuit, pour remédier à la crise de l’armement, on fabrique des épées et des cuirasses. On met Rome en état de défense. Sur la proposition de Fabius, le Sénat prend des mesures pour rassurer la population, empêcher l’exode en masse, et faire régner le silence dans la ville. « Taisez-vous, méfiez-vous ! « a dit à peu près Fabius. On fait venir, pour tenir garnison dans la place, 1 500… — j’allais écrire 1 500 fusiliers marins, — non ! 1 500 soldats inscrits pour la flotte d’Ostie. Et, quand Hannibal veut engager des pourparlers, sous prétexte de restituer, moyennant rançon, les prisonniers romains, le Sénat refuse de recevoir ses ambassadeurs. Rome n’admet pas de suggestions obliques et louches, amollissant les esprits et les inclinant vers la paix. Rome ne veut la paix que par la victoire.

Cannes marque la fin du deuxième acte de notre drame. Le troisième va commencer. C’est l’acte de la crise, celui où la fortune commence à tourner. Cannes est pour Hannibal l’apogée du succès ; mais c’est aussi le commencement de la chute. Certes, la victoire a d’énormes conséquences, matérielles et morales. Elle vaut aux Carthaginois quelques complicités : il y a toujours des idéalistes qui volent au secours des vainqueurs. Parmi ces neutres enfin éclairés sur leur vocation, citons Philippe, roi de Macédoine, — la Macédoine est marquée par le destin ! — Hiéronyme, tyran de Syracuse, plusieurs cités de l’Apulie et du Bruttium, et surtout la reine de la Campanie, la riche ville de Capoue. Mais Capoue, qui n’est pas un port de mer, ne fournit pas la base navale désirée. Les grands ports du Sud, Naples, Thurii, Métaponte, Tarente, demeurent hostiles. Les communications d’Hannibal avec Carthage restent précaires, et, comme une armée romaine l’a coupé de sa base d’Espagne, son expédition se trouve « en l’air. » Un historien allemand, le professeur Delbrück, l’a dit fort judicieusement : « Qui veut mener la guerre en vue de jeter l’ennemi à genoux, doit être en état, après avoir recherché et battu la principale force ennemie en rase campagne, de poursuivre inlassablement la victoire, jusqu’au siège et à la prise de la capitale ennemie, et, enfin, si ce succès ne conduit pas encore à la paix, jusqu’à la debellatio. Pour cela, Hannibal était trop faible… » Rien de plus juste.

Dès lors, les Romains reprennent peu à peu le dessus Ils pratiquent méthodiquement la guerre dont Fabius a formulé