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système des « petits paquets, » et qu’il suffit, pour réussir, d’avoir sur l’ennemi une supériorité numérique marquée. On finit par écouter ces allégations spécieuses. Le Sénat décide d’organiser, pour l’année 216, l’armée la plus nombreuse que Rome ait jamais possédée. On lève donc huit légions, portées chacune à l’effectif de 5 000 hommes, avec les contingens alliés correspondans, soit en tout 90 000 hommes. Pour les commander, on ne s’en fie plus à Fabius, décidément démonétisé, et dont les pouvoirs touchent à leur terme. On nomme consuls pour 216 M. Æmilius Paullus (Paul-Emile, le père du grand général dont j’ai parlé tout à l’heure), et C. Terentius Varro (Varron). Le premier est un chef estimé, qui a fait ses preuves en lllyrie. Le second est un ami de Minucius, un ancien boucher devenu avocat, sans talens militaires, mais très apprécié de la populace pour ses allures flagorneuses. Car c’est un travers des Romains, de confier à des avocats de bonne volonté et de médiocre compétence la direction des choses militaires. Les deux consuls reçoivent mission formelle de tenter « un grand coup. »

Au début de l’été de 216, Hannibal a marché vers le Sud et a enlevé le château de Cannes. Paul-Emile et Varron accourent avec 80 000 fantassins et 6 000 cavaliers. Hannibal n’a pas plus de 40 000 fantassins et 10 000 cavaliers. Le choc a lieu le 2 août 216. On en sait l’issue. Les Romains, malgré leur supériorité numérique, sont encore enveloppés et taillés en pièces. Cinquante mille d’entre eux périssent, dix-neuf mille sont pris. Paul-Emile meurt en combattant. Varron s’enfuit en piteux équipage. C’est plus qu’une défaite, c’est un désastre ; c’est plus qu’un désastre, c’est un anéantissement. Jamais vainqueur ne fut plus vainqueur qu’Hannibal ce jour-là.

Il semble que la guerre soit finie. Effectivement, à Rome et dans les villes alliées, quelques esprits faibles se laissent aller au désespoir. Mais, il faut le dire, c’est une minorité infime. L’imminence du danger retrempe tous les courages, et tend toutes les énergies. Les citoyens, calmes et graves, regardent l’adversité en face, et se préparent à affronter tous les dangers et à accomplir tous les devoirs. On rassemble les débris des légions. L’incapable Varron, accablé par les événemens, s’efface, cède son commandement à M. Valerius Laevinus, et est renvoyé dans le Picenum. On fait appel aussi à un chef éprouvé, Marcellus. On mobilise tous les hommes, même ceux