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ou sur mer, acheminer les convois, quand prendre l’offensive, et quand, plutôt, y renoncer. Non contens de décider de ce qu’il faut faire, ils s’en prennent au consul de tout ce qui s’est fait contrairement à leur plan : c’est comme une accusation en règle. Cela cause de grands embarras à ceux qui agissent... Je ne suis pas de ceux qui pensent que les généraux peuvent se passer de conseils. Au contraire, j’estime qu’il y a plus d’outrecuidance que de sagesse à vouloir tout mener avec ses seules lumières. Que demandé-je donc ? Que les généraux consultent d’abord les experts, versés dans la science et dans la pratique militaires, puis les hommes qui participent sur place aux opérations, qui voient l’ennemi, les occasions, et qui, passagers pour ainsi dire du même bateau, prennent leur part des mêmes risques. Si donc il existe un homme qui se flatte de me donner, dans la guerre que j’entreprends, des avis utiles à la chose publique, cet homme ne doit pas priver l’Etat de son concours. Qu’il m’accompagne en Macédoine... Mais si cet homme ne veut pas marcher et préfère la tranquillité de l’arrière aux travaux de l’avant, qu’il renonce à jouer les pilotes en terre ferme... » — Ce sont des « pilotes en terre ferme » de cet acabit qui critiquent Fabius, déplorent ce qu’ils appellent son inertie et prônent les avantages de l’offensive à tout prix et à tout risque. Ils s’appuient sur le lieutenant de Fabius, Minucius. Cet arriviste suffisant et bavard ne cesse de clabauder en sous-main contre son chef, de le dénoncer à Rome, et de déclarer à qui veut l’entendre qu’il se comporterait, lui, de tout autre façon. Justement, en l’absence de Fabius, il remporte quelques avantages locaux. Il en a la tête tournée. Ses partisans grossissent ses succès et en accablent le Temporisateur. L’opinion s’émeut. Elle trouve que Fabius manque décidément de panache et réclame à grands cris de nouveaux bulletins de victoire. Finalement, chose qui ne s’était jamais vue, le peuple fait de Minucius un second dictateur. Fabius partage avec lui ses légions. Le résultat ne tarde guère. Minucius veut attaquer ; il essuie le plus sanglant échec. Il serait complètement écrasé, si Fabius, en accourant, ne le sauvait du désastre.


Cette leçon ne suffit pas a désabuser les fanatiques de l’offensive. Ils répètent qu’on n’a échoué que pour avoir pratiqué le