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Cependant Hannibal, débarrassé de Scipion, remonte la vallée du Rhône jusque vers Valence. Là il réapprovisionne et rééquipe ses troupes ; puis, par un itinéraire que nous connaissons mal, il s’engage dans la montagne et franchit les Alpes. Il se heurte à des difficultés inouïes, qui lui coûtent beaucoup d’hommes et de matériel. Enfin, au début d’octobre, il atteint le Piémont, avec 20 000 fantassins hâves, déguenillés, aux allures de fauves, et 6 000 cavaliers à peu près démontés. Mais il se trouve à pied d’œuvre. Il a, selon le mot de Napoléon, « acquis son champ de bataille, le droit de combattre... » Il se hâte de mettre ses troupes au vert. Il les refait, physiquement et moralement, aux dépens du riche pays où il les a conduites. Un heureux coup de main lui donne la place de Turin. Alors seulement, il apprend que Scipion arrive à sa rencontre à Plaisance.


Scipion avait fait toute diligence. Néanmoins il arrivait trop tard. Il lui avait fallu, puisqu’il avait expédié son armée en Espagne, en trouver une autre. Il avait donc rallié les légions qui opéraient contre les Cisalpins insurgés : ce qui avait laissé aux Carthaginois le temps de se reposer, de prendre Turin, et même de se renforcer de quelques contingens gaulois.

Scipion ne pouvait plus que disputer à Hannibal les passages du Pô supérieur, et tâcher d’enrayer l’insurrection gauloise. C’est dans cette intention qu’il occupait cette sorte de bastion montagneux dont le front est jalonné par la ligne Pavie-La-Stradella-Plaisance, et qui commande à la fois les routes de l’Italie péninsulaire et celles de la vallée inférieure du Pô. Il avait même voulu en déboucher, et pousser au delà du Pô et du Tessin. Mais, bousculé par les avant-gardes puniques, il avait dû se replier derrière la Trebbia, petit affluent du Pô.

C’est là que Sempronius le rejoint. Ce soldat impatient et présomptueux gâte bientôt la situation. Il se flatte de reprendre l’offensive, et se hasarde à attaquer les Carthaginois par delà la Trebbia, dans les conditions les plus désavantageuses. D’abord vainqueur au centre, il se trouve bientôt débordé sur les flancs, et l’on voit pour la première fois se réaliser dans toute son ampleur la manœuvre d’enveloppement, chère à Hannibal. On l’a remarqué en effet : tandis qu’Alexandre pratiquait volontiers