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bouscule les tribus qui essaient d’arrêter sa marche en Catalogne, traverse, au col du Pertus, les Pyrénées, et parvient, vers le 20 août, sur le Rhône, entre Beaucaire et Tarascon. Il va à son but sans hésitation, sans temps perdu. Le passage du Rhône le retient à peine, malgré de grandes difficultés matérielles, et l’hostilité des tribus riveraines.

Que fait Rome, tandis que se dessine l’attaque brusquée ? Rome se dispose à conduire la guerre avec sa pondération habituelle. N’ayant pas d’armée permanente, elle doit, comme au début de chaque campagne, lever et former des légions, et équiper une flotte. Elle n’imagine pas un instant qu’on puisse lui disputer l’initiative des opérations et le choix du champ de bataille. Elle décide d’aller battre les Carthaginois chez eux. Elle confie pour cela 24 000 hommes et 60 navires au consul P. Cornélius Scipion, pour déloger les Carthaginois d’Espagne, et à peu près autant d’hommes, avec 172 navires, au consul Tib. Sempronius Longus, pour les forcer dans leur repaire d’Afrique. Les deux expéditions se préparent, et partent sans hâte.

C’est au milieu de cette quiétude et de cette confiance qu’éclate comme un coup de foudre la nouvelle : Hannibal est en Gaule ! Scipion, faisant escale à Marseille, apprend avec stupeur que son adversaire campe à quelques étapes de lui. Il est dérouté. Il ne sait quel parti prendre. Il débarque au grau du Grand Rhône, et envoie des éclaireurs chercher des renseignemens. A leur retour seulement, il se décide à prendre l’offensive. Mais, quand il parvient vers Tarascon, il n’y rencontre plus personne. Depuis trois jours, le dernier soldat carthaginois a décampé dans la direction du Nord.

Que faire après cette déconvenue ? Scipion se tient pour satisfait d’avoir, comme il dit, mis Hannibal en fuite, et il rentre à Marseille l’oreille basse, se demandant comment couvrir désormais la Cisalpine. Grâce à sa flotte, il peut encore gagner de vitesse l’armée carthaginoise, atteindre le premier la vallée du Pô, et déconfire Hannibal au débouché des vallées alpestres. Ce plan logique ne le retient pas. Il s’arrête à une demi-mesure. Il envoie le gros de ses forces en Espagne, et revient lui-même à Pise avec une simple escorte. En même temps, il fait rappeler de Sicile son collègue Sempronius. Celui-ci se hâte de prendre le chemin du Nord avec ses légions.