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situation, et faire le bloc des ennemis de Rome. Comme l’Allemagne rêva naguère de déchainer le panislamisme contre la France, l’Angleterre et la Russie, il rêve de provoquer un soulèvement tumultuaire de tous les Gaulois contre la Fédération Italique.

Il décide donc d’attaquer, et d’attaquer par surprise. Et, comme il craint que ses compatriotes n’osent pas prendre la responsabilité d’une rupture, il les place en face d’un fait accompli. Il cherche une querelle d’Allemand à Sagonte, l’alliée de Rome, et met le siège devant la ville. Sagonte se défend avec l’énergie du désespoir, mais finit par succomber après huit mois de siège. Rome, abasourdie par tant d’audace, ne sait que penser. Rome délibère ; Rome se demande s’il ne faudrait pas secourir son alliée ; Rome envoie des ambassadeurs chargés de notes impressionnantes. Elle veut que Carthage désavoue Hannibal. Que dis-je ? elle prétend se faire livrer ce vainqueur. Carthage, enhardie par le succès, résiste : c’est la guerre.

Au printemps de 218, Hannibal quitte Carthagène pour entrer en campagne. Polybe lui attribue 102 000 hommes, dont 12 000 cavaliers. Mais les critiques modernes réduisent ce chiffre à 35 ou 40 000 hommes, dont 8 000 cavaliers. Effectif évidemment modeste : mais Alexandre n’en avait même pas autant pour conquérir l’Asie ! Ces troupes sont d’ailleurs excellentes. L’infanterie comprend, pour les deux tiers, des soldats d’Afrique, vieillis sous le harnois. La cavalerie se compose surtout de Numides. Hannibal emmène aussi 37 éléphans de combat. Ces massifs animaux, bardés de fer, constituent une redoutable arme de choc, plus encore par la terreur qu’ils inspirent que par le mal qu’ils font. Cette colossale artillerie lourde, dont les Romains sont dépourvus, assure aux Carthaginois un réel avantage moral. Les voies de l’expédition sont préparées à travers les pays neutres par un patient et obscur travail d’avant-guerre. Le terrain est reconnu, les itinéraires jalonnés, les passages repérés. Des hommes et des peuples, achetés d’avance, attendent l’armée punique en Catalogne et dans les Gaules. Sur les bords du Rhône, non loin de Valence, des magasins secrètement constitués regorgent de vivres, d’armes et d’équipemens. De l’autre côté des Alpes, les Cisalpins s’agitent, frémissans, et commencent à se soulever.

Parti au commencement de mai, Hannibal franchit l’Èbre,