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base d’opérations d’où l’on puisse atteindre de pied ferme l’Italie, mais assez distante de ce pays pour échapper d’abord aux regards des Romains. À cet effet il se fait nommer chef suprême des forces puniques en Afrique et en Espagne. Il soumet sans peine la côte d’Afrique. Il pénètre dans la péninsule ibérique. Il y guerroie. Il y négocie. En neuf ans de luttes, il y fonde un vaste empire. Hamilcar mort, Hasdrubal élargit et consolide ses conquêtes. Il les organise. Il en exploite les richesses minières et agricoles. Il amasse un trésor de guerre. Il fonde des villes, au premier rang desquelles brille la superbe cité de Carthagène. Mais l’œuvre essentielle est la constitution d’une armée forte, disciplinée, bien équipée, bien encadrée. Les Barcas aiment leur armée et s’en occupent avec prédilection. Ils entraînent les soldats à des manœuvres et des combats incessans. Pour les commander, ils forment des états-majors jeunes, ardens, rompus à la technique du métier, possédant à fond l’art de reconnaître le terrain et de l’utiliser. Entre les officiers se distinguent par leur coup d’œil et leur « cran » les trois fils d’Hamilcar, ceux qu’il nomme ses « lionceaux, » Hannibal, Hasdrubal et Magon, dressés dès leurs primes années à mordre les ennemis de Carthage. On raconte qu’Hamilcar, avant de partir en Espagne, a conduit dans un temple son aîné, Hannibal, âgé de neuf ans, et lui a fait jurer de haïr les Romains jusqu’à la mort. Les dents devaient pousser au lionceau. Lion, il devait tenir son serment.

Cette préparation intensive dure seize années (236-220). Un effort aussi persévérant et aussi méthodique porte nécessairement ses fruits.

Tandis que des menaces s’amoncellent ainsi vers l’Occident, que fait Rome ? — Rien, ou peu de chose. Rome est assise dans sa force et dans sa gloire. Elle se tient pour inexpugnable. Elle n’imagine pas qu’on ose s’en prendre à elle. Aussi n’attache-t-elle d’abord aucune importance aux rumeurs qui viennent d’Espagne. Cependant, quand, malgré tout, les rumeurs se précisent, elle se décide, à tout hasard, à prendre des sûretés pour l’avenir. En 226, elle s’allie avec deux cités grecques de la côte espagnole : Sagonte (aujourd’hui Murviedro), et Emporiae (aujourd’hui Ampurias). En outre, elle interdit à Hasdrubal de pousser ses conquêtes au delà de l’Ebre. Hasdrubal négocie, promet tout ce qu’on veut, donne par traité des assurances formelles