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préconise la fondation de « foyers du soldat, » salles de réunions confortables et gaies, où les soldats habitant différens hôtels peuvent se rejoindre, trouvent de la lecture et des boissons non alcooliques à des prix minimes [1]. On commence à employer les mieux portans qui le désirent aux travaux des champs et au jardinage. A Leysin, où l’expérience est la plus significative, parce qu’elle dure depuis plus longtemps, on a déjà installé quatre ateliers où les hommes travaillent deux heures par jour pour se distraire sans se fatiguer. L’atelier de menuiserie fabrique des jouets d’enfans sous la direction de ce lieutenant qui, en Allemagne, pour tromper sa faim de la maison, créa, avec son couteau et des boîtes de cigares, une merveilleuse maison de poupée. Les internés de Leysin ont même composé une revue qui eut un grand succès : ils envoyèrent les deux tiers de la recette aux prisonniers, et le reste fut destiné « à nos camarades suisses, belges et français. » Les habitans de chaque hôtel forment une petite communauté où l’on partage les plaisirs et les peines. Les soldats adoptent les civils internés avec eux, souvent très malheureux, et prennent sur leur solde pour leur constituer un peu d’argent de poche. Un chef d’établissement, dans un hôtel de Spiez, a organisé pour venir en aide « à ses civils » une caisse mutuelle.

— Ceux qui reçoivent de l’argent peuvent bien donner deux sous par jour pour les camarades, me dit-il. Qu’est-ce que c’est ? deux cigares de moins qu’on fume...

Ainsi la camaraderie a survécu à l’existence des tranchées et à l’existence des camps. L’entr’aide continue. Des liens nouveaux se sont formés. La générosité du troupier français reste un des traits de son caractère avec cette sentimentalité si jolie qu’il cache sous un sourire.

— Voyez, madame, ce bouquet, disait l’un d’eux en désignant un bouquet séché au-dessus de son lit, je l’ai reçu à mon arrivée... il rentrera en France avec moi...

Et je repense au mot d’un des leurs qui, voulant exprimer sa gratitude, a dit : « Les Français savent aimer. »

Nous ne les guérirons pas tous...

Un certain nombre d’hommes, diagnostiqués trop malades,

  1. Trois « foyers » sont déjà ouverts : à Leysin, à Montana, à Blonay. D’autres s’ouvriront bientôt.