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le plus souvent, — les équipages neutres sont épargnés et que leurs bâtimens ne sont coulés qu’après avertissement préalable. Désormais, il n’en sera plus ainsi, et nos ennemis comptent régner sur la mer déserte par la terreur qu’inspireront ces assassinats, dignes des exécutions sommaires de Visé, d’Hasselt, de Dinant, de Nomény, de Sentis. Du coup, l’Angleterre sera affamée en même temps que ses usines seront privées de leur nécessaire aliment...

Ne nous plaignons pas d’une telle erreur. Ne nous plaignons même pas trop, — encore qu’il soit pénible d’en venir là, — de l’adoption par nos adversaires de mesures qui, certainement, soulèveront enfin contre eux sinon tous les Scandinaves, du moins les Danois et les Norvégiens, ces derniers surtout, qui ont perdu déjà un tonnage considérable. Le remède viendra de l’excès du mal : « Ils en font trop, vraiment !... » s’écrie-t-on dans les ports du Nord, depuis plusieurs mois. — « Sus à la bête féroce ! » y criera-t-on bientôt avec nous, si nous savons exploiter ces circonstances favorables. En ce qui touche le Danemark, dont la situation géographique rend la neutralité plus particulièrement intéressante pour l’Allemagne, puisqu’il la couvre et ferme ses voies d’accès, on sait qu’à la suite de la singulière affaire des Antilles danoises [1], un mouvement d’opinion très vif et très net s’y est produit en faveur de l’intégrité territoriale, étant entendu que cette expression s’appliquait aussi à la partie du royaume détenue par la Prusse depuis cinquante ans, le Slesvig du Nord, dont la population est purement danoise. Nul doute qu’une diplomatie habile, soutenue par l’expression très précise des intentions réparatrices des gouvernemens alliés, ne se fasse écouter avec complaisance par un noble peuple, dont nous connaissons mieux que personne, nous Français, la chevaleresque fidélité, un peuple que les Allemands orgueilleux ont pu croire un moment courbé devant leur formidable puissance, mais qui se redresse peu à

  1. L’opinion publique, en Danemark, s’est montrée sévère à l’égard des négociations entamées avec le gouvernement américain par le ministère Brandès, à qui l’on a reproché une attitude peu digne d’une nation indépendante. Or ce ministère, — de couleur très foncée, au point de vue de la politique intérieure, — est, à tort ou à raison, considéré comme systématiquement « complaisant » pour l’Allemagne. Après une assez longue agitation sur la question de la vente des petites Antilles, on s’est mis d’accord pour soumettre l’affaire à un « référendum » populaire.