Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il y a quelques mois [1], au sujet du « nouveau blocus, » je suis plus que jamais porté à croire que toutes les mesures prises par les Alliés, dans cet ordre d’idées, resteront inefficaces. L’Allemagne sera gênée, très gênée ; elle souffrira beaucoup, ce n’est point douteux, mais elle ne sera pas réduite à merci par la seule vertu de la pression économique. On ne peut pas étrangler un homme qui porte autour du cou un collier rigide. Or c’est justement le cas de l’Allemagne : tant qu’elle aura son collier de Scandinaves, elle pourra s’alimenter et respirer. Et toutes les conventions commerciales, toutes les ententes officielles ou officieuses, conclues avec les gouvernemens aussi bien qu’avec des syndicats d’importateurs, n’y feront rien ; pas plus que le rigoureux contrôle exercé sur les bâtimens neutres, sur la vraie destination de leurs cargaisons, sur le contenu de leurs colis-postaux et sur leurs courriers. Quand je dis « n’y feront rien, » j’entends rien de décisif, rien qui jette l’Allemagne à nos pieds, épuisée de privations, incapable de renouveler son matériel militaire.

En revanche, — et il y parait maintenant, — la contrainte que les Alliés exercent sur la navigation des neutres et qu’adoucissent à peine les procédés courtois dont nous usons quand il y a lieu de retenir un paquebot dans nos ports pour vérifier sa cargaison, indispose contre nous l’opinion publique dans les trois royaumes du Nord, comme en Hollande, du reste. On peut en être péniblement surpris, mais il est impossible de se dissimuler que la récente Note des ministres scandinaves réunis à Christiania semblait mettre sur le même pied la gêne ainsi apportée aux transactions des neutres et les pertes de bâtimens et d’existences humaines qui résultent pour ces mêmes neutres des pratiques courantes de la guerre sous-marine allemande.

Etonnante mentalité, mais sur laquelle, dès le début du conflit, il n’y avait point d’illusion à se faire ! L’Allemagne obtenait beaucoup plus par la terreur que les Alliés par la modération. A ceux-ci, dont on escomptait les honnêtes scrupules sur le respect de la neutralité des petites Puissances, on reprochait la rigueur relative de leurs recherches sur les « destinations fictives, » tandis qu’à ceux-là qui violaient à chaque instant toutes les prescriptions du droit international, pénétrant dans

  1. Revue des Deux Mondes du 15 février 1916.