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chêne et de laurier. Le Roi a voulu mettre le signe chrétien et le symbole de l’espérance au-dessus de ces lettres qui attestent que des hommes vécurent, furent aimés, et moururent obscurément pour sauver leur pays. De la mort sortira la vie, a écrit une main pieuse au fronton de ce douloureux reliquaire du patriotisme français.

Le service des nouvelles, concernant les blessés et les civils qui restèrent en pays envahi, est assez compliqué. Primitivement, l’Allemagne se refusait atout renseignement, puis, la Croix-Rouge de Francfort étant intervenue, on put obtenir qu’au bas d’une carte postale, timbrée par le maire de la commune, les intéressés mettraient l’information essentielle : « Maman va bien, nous aussi. » — « Père est en voyage. » — « Nous manquons de ceci ou de cela. » — « Qu’importe ma souffrance ? écrit un Lorrain, je donnerais tout pour mon pays. » — Et des baisers à n’en plus finir ; ils font le tour de la carte postale et se glissent jusque sous la signature du maire.

Depuis quelques semaines, on peut obtenir directement, par le Ministère, en France, ces nouvelles des exilés, que le roi d’Espagne fut le premier à pouvoir obtenir.

Le rapatriement des prisonniers civils n’est pas soumis à des conditions réglementées d’avance. Leur départ dépend de la volonté des autorités allemandes qui désignent, elles-mêmes, ceux qui pourront être rapatriés ; si elles jugent qu’un Français ou qu’un Belge est dangereux, c’est-à-dire peut donner des indications précieuses à son pays, on le garde, on le surveille, et, s’il crée une agitation, on l’emprisonne. C’est un otage. Tel fut Nijinsky arrêté à Vienne, où il était venu retrouver sa femme sur le point d’être mère ; sa libération ne lui fut accordée que sous l’engagement qu’il ne quitterait pas l’Amérique pendant la guerre.

Mme Carton de Wiart, dont le patriotisme agissant causait tant d’inquiétude aux Allemands, fut déportée et emprisonnée à Berlin. On voulut, en considération de son mari et de sa naissance, lui imposer un régime de faveur : elle s’y refusa et subit sa peine comme les autres détenus politiques. Le roi d’Espagne intervint, et ce fut sur les instances de Sa Majesté que la courageuse femme fut, après plusieurs mois de captivité, rendue à son époux et à ses enfans. Dans les mêmes conditions, une de nos compatriotes déclarée « dangereuse, » — le mot