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mauvaise, on a vu par quelle formule émouvante Sa Majesté fait annoncer la mort qui, sur le bulletin allemand, est signifiée par ce seul mot : todt.

Que de lettres j’ai tenues dans mes mains, qui m’ont fait pleurer, car les larmes appellent les larmes, et ces messages d’angoisse en étaient imprégnés ! Quelle torture de pauvres mères ont endurée avant d’oser écrire à un roi ! Comment écrire à un souverain ? Comment lui avouer son chagrin, toucher son cœur ?

La plupart de ces lettres si touchantes sont écrites par de petites gens, qui se sont souvenus qu’autrefois les rois de France étaient nommés Pères du peuple. Ces rois n’étaient-ils pas les ancêtres d’Alphonse XIII ? Paysans, ouvriers, cultivateurs, petits bourgeois, gens peu instruits, qui n’ont pas voulu d’intermédiaires entre le souverain et eux ; ils ont écrit à leur façon, qui était la bonne, tantôt sur l’humble feuille de papier à un sou que vend l’épicier, tantôt sur des feuilles à en-tête commercial, sur un feuillet arraché au cahier de l’écolier ; les mieux avertis des usages ont acheté le grand format et moulé l’écriture.

Les plus naïves de ces missives populaires sont naturellement les plus touchantes. J’en citerai quelques-unes, sans donner aucun nom, afin de révéler seulement ce trésor qu’est le cœur des humbles.

Qu’on ne croie pas que ces naïvetés d’expression fassent sourire le Roi, qui lit ces lettres et les garde. Il a été ému, autant que nous le sommes, de la sincérité des pauvres gens, touché de leur amour immense pour la France, de la délicatesse avec laquelle on l’implore ou le remercie. N’y a-t-il pas dans ces lettres d’actions de grâces ce parfum dont parle le poète persan ? Le souvenir qu’en garde le jeune souverain en est tout embaumé.


Lettres au roi d’Espagne.
A Sa Majesté Alphonse XIII.

Bien modestes ouvriers, à la déclaration de guerre nous avions deux fils qui étaient notre joie ; l’un, depuis dix mois, était au régiment ; il est parti, heureux et fier de faire son devoir ; il n’est jamais revenu. Il fut à Charleroi, à Guise, et fut blessé le 29 août 1914. Disparu depuis ce jour,