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douceur, de patience et de mansuétude. A le voir si simple et si affable dans son beau cabinet de travail, on prendrait don Emilio-Maria de Torrès, moins pour un ministre d’Etat que pour un rêveur vivant dans le lointain refuge de ses livres et de ses songes. Il est de taille moyenne, blond : ses yeux clairs ont cette pureté mystique que les peintres espagnols ont mise dans le regard de leurs saints préférés. J’ai vu souvent ces yeux se voiler à la lecture des lettres déchirantes qui composent ce que « don Emilio » nomme lui-même tristement l’anthologie de la douleur.

Cette correspondance, dépouillée et classée par ses collaborateurs, est lue par lui, puis communiquée au Roi, qui s’informe tous les jours des demandes, des recherches, des réponses obtenues. Le secrétaire particulier de Sa Majesté s’est donné corps et âme à l’œuvre qu’il a organisée et qu’il dirige à Madrid avec tant de dévouement. Si, au petit jour, une fenêtre au Palacio real brille encore, n’en doutez pas, c’est lui qui travaille, et pour nos soldats !

Au moment où j’entrai, avec M. de Torrès, dans le premier salon, des employés, civils et anciens militaires, étaient fort occupés à timbrer un millier de lettres qui allaient partir. Sur certaines enveloppes les uns posaient le timbre France, ou Belgique, Angleterre ; toutes portaient le sceau franchise postale, et le cachet du secrétariat particulier. La franchise postale est assez récente ; dans les premiers mois, les frais de correspondance, comme tous les frais de l’œuvre, d’ailleurs, étaient supportés par la cassette du Roi. Le nombre de lettres expédiées ainsi chaque jour est d’un millier ; la proportion augmente après les grandes offensives. On en compta jusqu’à 1 300 à l’offensive de Champagne.

Celles de ces lettres qui contiennent les demandes de recherches adressées à l’ambassade d’Espagne à Berlin partent chaque jeudi par une valise diplomatique spéciale. Le retour de cette valise a lieu le mercredi suivant.

Dès qu’une demande de renseignemens arrive, elle est classée à l’aide d’un système de fiches très ingénieux ; les unes constituent les fiches des militaires, les autres celles des civils. Dans la catégorie des militaires, nouvelles subdivisions : prisonniers, blessés, disparus. Comme il s’agit d’armées de nationalités différentes, pour éviter toute confusion, le classement de