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Goya ; la salle chinoise, avec le caprice de sa décoration de fleurs et de personnages se jouant sur les murs et jusqu’au plafond ; la salle du trône, où deux lions dorés symbolisent la majesté du lieu. Mais alors, ces appartemens étaient vides. J’attendis le moment fixé pour mon audience dans le grand salon de la camara, où conversaient, à quelques pas de moi, les officiers de la maison royale. Un haut prélat de Madrid s’entretenait avec l’un des membres du gouvernement.

J’appris que je serais reçue toute seule ce matin-là... Seule ! Je me voyais soudain en imagination entourée de femmes en robes noires, en voiles de deuil, en coiffes blanches, selon la mode de nos provinces de France ; les unes étaient de petites bourgeoises aux visages pleins de tendresse, les autres avaient les traits fatigués, les mains rudes et piquées par l’aiguille ; il y en avait parmi elles qui étaient des aïeules, d’autres des enfans ; toutes mêlaient leurs soupirs aux miens, et leurs regards étaient pleins de reconnaissance. O femmes de mon pays. Françaises que la guerre a fait souffrir autant que la Vierge aux Sept Douleurs, vous me chuchotiez des mots qui remplissaient mes yeux de larmes, en me chargeant de porter jusqu’au pied du trône l’expression de votre reconnaissance !

Le Roi me reçut dans un salon de moire blanche, qui rappelle les petits appartemens de Versailles par le goût et la décoration. Sa Majesté me demanda gracieusement si j’étais satisfaite de mon voyage en Espagne ; je lui répondis que j’étais bien heureuse de pouvoir étudier l’organisation de son œuvre, et le remercier de sa sollicitude pour nos soldats.

— Mais, Madame, dit le Roi, avec une vivacité toute française, que penserait-on de moi si je ne faisais pas ce que je fais pour vos vaillans soldats ?... J’aime la France, et je n’oublie pas l’accueil que Paris m’a fait autrefois... Quoi ! vous songez à cet attentat ? — fit Sa Majesté, répondant à une parole de regret, — mais quel plus beau souvenir pour un soldat : avoir reçu le baptême du feu à la tête des cuirassiers français !

Est-il possible d’être plus simple, plus chevaleresque et plus charmant ?

Le Roi a trente ans ; on lui en donnerait à peine vingt-cinq. Il est grand, svelte, élégant, admirablement assoupli par tous ces sports qu’il a mis à la mode en Espagne. Son visage est d’une mobilité surprenante. Si ses traits rappellent ceux des princes