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— Je vous prie, madame, de dire, dans votre grande Revue, que les vœux que je fais pour la paix ne signifient point que je souhaite la paix à tout prix : ce serait une offense pour la France et j’aime beaucoup la France ! Mais mon devoir de souverain d’un pays neutre est de désirer que les douleurs qui frappent si cruellement d’autres peuples aient une fin.

Voilà les propres paroles du roi Alphonse XIII.

Autre chose est de rêver une Europe pacifiée, vouée au travail réparateur, autre chose de pousser les belligérans vers le dénouement du drame, avant le moment attendu et prévu par ceux qui conduisent l’action. Ses sentimens d’amitié profonde pour la France, le Roi ne les cache pas ; il a du sang français dans les veines ; il est le descendant direct de Louis XIV et s’en souvient, comme on le verra dans l’organisation de l’œuvre consacrée aux prisonniers. C’est pour moi un grand honneur et une joie très douce de me faire l’écho des paroles de Sa Majesté.

Notre ambassadeur à Madrid, sur ma demande, avait bien voulu solliciter pour moi une audience. Cette audience semblait difficile à obtenir ; le Roi, depuis la guerre, ne recevait plus les correspondans des grands journaux, n’accordait point d’interview. La Revue des Deux Mondes, très lue à la Cour de Madrid, triompha de toutes les difficultés, et un beau matin du printemps dernier, derrière un hallebardier, je pénétrai dans les salons de réception du Palacio real.

Ce palais est élégant comme un palais français du XVIIe siècle, et formidable dans ses assises et sa construction, comme le château que les Papes se sont bâti en Avignon. L’une des façades donne sur la place d’Orient, aux arbres africains ; l’autre façade domine un ravin plein de verdure, le campo del Moro, où jadis se donnèrent tournois et combats de cañas. Une cour d’honneur, aussi magnifique que celle de Versailles, sépare l’entrée du palais de la place d’Armes. Au moment où j’arrivais, la foule se précipitait dans cette cour, afin d’assister à la cérémonie militaire qu’on nomme relève de la garde.

Je devais à la courtoisie du comte de las Navas, le savant bibliothécaire du Roi, d’avoir pu visiter les trésors de la librairie royale, et les grands appartemens, qui sont pleins de magnificence. J’avais pu admirer à loisir ces salons somptueux, tendus de vieilles tapisseries des Flandres, ornés des plus beaux