Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cour d’Espagne. Les six chevaux, qui traînent chacun des carrosses, ont des harnais d’or, et sont tenus en main par des laquais aux habits de soie galonnés, aux bas écarlates ; ils portent, comme autrefois, tricornes et perruques blanches, ainsi que les cochers qui resplendissent au milieu des draperies de leur siège.

Le carrosse est laqué d’or, d’azur, décoré de peintures ravissantes ; une soie claire orne l’intérieur. Mais le carrosse est moins pompeux que les somptueuses bêtes qui le traînent à travers les rues de Madrid, sous leurs parures de femmes : longues boucles d’oreilles en passementerie de soie, qui frappent en cadence leur col lustré ; panaches rouges, bleus, jaunes, blancs, piqués sur leurs têtes avec tant de grâce, que l’on songe à un vol d’oiseaux chimériques, oiseaux de contes de fées, qui se seraient posés pour un instant sur la crinière des chevaux du Roi.

Vingt carrosses se suivent, conduisant au palais des Cortès les grands d’Espagne, les Infantes, la reine mère et los Reyes. La reine Victoria descend, elle est très belle dans sa robe de cour ; le Roi est en grand uniforme. Les yeux dévorent ce jeune couple, qui, à force de bonté, de bonne grâce, de simplicité, jusque dans cet apparat traditionnel, a su gagner presque tous les cœurs. Le Roi sourit, salue, tend la main, adresse la parole à ses amis, montre à chacun qu’il le reconnaît, s’il l’a déjà vu ; s’informe, écoute, promet ; son œil est partout ; visiblement il cherche à lire sur les visages si son peuple est heureux.

Go jour-là, à l’ouverture des Cortès, Sa Majesté prononça un grand discours qui contenait une phrase relative à la paix. Quelques mots détachés et télégraphiés par les agences eurent un retentissement inattendu. Ne disait-on pas, dans les commentaires de ce télégramme, que le Roi voulait hâter la paix entre les belligérans, et que ses paroles étaient une allusion directe à des démarches qui pouvaient être bientôt tentées ?

Quelle erreur ! Le vœu royal n’était que le vœu d’un cœur généreux qui s’afflige des souffrances longues et cruelles de la guerre, et souhaite que les bienfaits de la paix réparent au plus tôt les misères endurées par les nations.

Le Roi marqua quelque étonnement qu’en France même on eût pu se méprendre sur le sens de ses paroles ; je le sais, puisque Sa Majesté voulut bien me le dire, quelques jours plus tard, durant l’audience qui me fut accordée.