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Cortès. On se serait cru à Versailles au temps de Louis XIV.

Madrid a une animation charmante ; elle était ce jour-là dans toute la grâce du printemps ; des acacias, des orangers en fleurs embaumaient les avenues ; l’eau jaillissante des fontaines donnait de la fraîcheur aux places ensoleillées ; les maisons, aux façades plates, ou gonflées d’innombrables miradores, se paraient d’une décoration fastueuse, lourdes tapisseries de la Renaissance tombant des fenêtres seigneuriales ; écharpes aux couleurs nationales, rouges et jaunes, tendues le long des balcons ; bannières de velours, aux armoiries brodées d’or et d’argent, accrochées au portail des édifices publics.

Dans les rues se pressait une foule joyeuse, plus riche d’hommes que de femmes, celles-ci jolies, mais portant sans coquetterie la mantille de tulle épinglée sous le menton. Cette foule allait, venait, affairée, de la Puerta ciel Sol à la Calle de Alcala, aux Recoletos, qui sont les Champs-Elysées de Madrid ; là, sans vergogne, en ce jour de fête, les innombrables mendians, les marchands de billets de loterie, les marchands de cacahuètes, les camelots vous assaillent d’offres et de demandes. Pour fuir cette foule, veut-on traverser la place, sans le secours d’un agent, il faut couper une procession d’ânes, passer entre les tramways, se ranger pour n’être pas écrasé par ces monumentales voitures peintes de fleurettes sur un fond éclatant, qui font le service des abattoirs de la ville.

Mais les fifres sonnent la marche royale ; des régimens s’avancent ; la foule s’écarte, les carrosses vont passer.

Tous les uniformes d’autrefois, disparus de notre armée, sont demeurés en Espagne. Le régiment de la garde royale, qui fait la haie devant le palais des Cortès, porte le costume des gardes françaises, culotte blanche et plastron rouge ; les hussards ont accroché à l’épaule la veste de Murat. Des casques de dragons sont ornés de chevelures blanches ; sur des shakos frissonne le plumage d’une colombe. Quel amour des plumes, depuis les plumes de paon qui couronnent, à l’Armeria, les cimiers de Charles-Quint, jusqu’aux fabuleux panaches qui se balancent sur la tête des chevaux attelés aux carrosses du Roi !

Ces chevaux de parade avancent lentement, comme s’ils dansaient au son de cette musique ancienne, qui rappelle les airs charmans des ballets de Lulli. Je vois venir dans la Calle en pente, comme dans une vue d’optique, le pompeux défilé de