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Ce fut à Saint-Sébastien, dans les premiers jours du mois de mai 1916, que je vis le roi d’Espagne. Il faisait un bref séjour dans cette ville de prédilection, où la Cour vient avec lui passer l’été. J’arrivai au bord de la mer, sur la plage même, près de cette Concha que les reines ont mise à la mode, et devant moi surgit la forteresse, où le roi François expia Pavie. Souvenir lointain, ombre charmante et légère, vous venez à ma mémoire et disparaissez aux sons d’un orchestre en sourdine ! Sont-ce les hautbois, les saquebutes et les luths de Fontainebleau, dans l’air mouillé d’averses d’un matin français ? Non, mais telles que les vit Brantôme, ou presque, quand il arriva par exprès en Lorraine pour voir défiler les mousquetaires du duc d’Albe, les troupes espagnoles, qu’il crut composées de princes et de marquis, à cause de leur noblesse martiale. Ce sont les troupes qu’Alphonse XIII doit passer en revue. Le vieux Brantôme les eût reconnues, bien que la sobriété moderne en atténue l’éclatant costume ; il les eût reconnues à ces étendards carrés que des capitaines de vingt ans portent sur l’épaule, et qui sont semblables à ceux des vieilles estampes et des anciens bas-reliefs. Un commandant caracole ; son cheval hennit comme Babieça, et d’autres chevaux lui répondent dans le bruit de la mer : ce sont peut-être les chevaux de Thétis, qui s’ébrouèrent autour des vaisseaux de Charles-Quint.

Un coup de canon, le Roi paraît. Il marche à grandes enjambées, de ses minces et longues jambes de cavalier ; le dolman rouge des hussards de la Princesse lui fait une taille de guêpe. Sa culotte havane bouffe hors de ses bottes jaunes. Il s’arrête brusquement pour saluer chaque étendard, qui couvre d’une soie éclatante la poitrine du porte-drapeau. Les soldats marchent vers le Roi, à son commandement mettent genou en terre, et, tête nue, s’inclinent. Moment plein de grandeur. Cette humilité des troupes devant le roi-soldat équivaut à un serment.

Derrière ces hommes agenouillés, ce n’était plus la mer que je voyais. C’était notre front sanglant... Arras, Soissons, Reims, Verdun, les héros étendus, qui firent à la France le serment sublime de mourir pour la sauver.

A quelque temps de là, je revis Sa Majesté Alphonse XIII, à Madrid, entouré de la pompe royale, lors de l’ouverture des