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veulent une certitude, et d’autres qui espèrent contre toute espérance. Ceux-là implorent le miracle, ou cherchent, sur terre, quelle puissance bienfaitrice pourra les aider à retrouver ce disparu qu’on ne veut pas pleurer comme un mort. Un nom vole, répété de bouche en bouche, c’est celui du roi d’Espagne. Partout on entend dire : — « Adressez-vous au roi Alphonse XIII : par lui, nous avons obtenu des nouvelles ; par lui, des prisonniers qu’on allait fusiller ont été sauvés ; par lui, des malades, de grands blessés ont obtenu d’être rapatriés ; par lui encore, nous avons pu envoyer des secours. »

C’est ainsi que, par la voix populaire, j’appris quel usage généreux et charitable Sa Majesté le roi d’Espagne faisait de son pouvoir royal. La neutralité gardée par son gouvernement lui interdit de prendre parti dans cette guerre, mais elle ne lui interdit pas de se montrer humain, et ce roi, qui prend à charge les souffrances d’autrui, se dépense tous les jours, inlassablement, afin que la captivité des braves soit moins cruelle, et que la douleur des familles françaises soit adoucie par les nouvelles qu’il est heureux d’obtenir.

J’ai vu dans les bureaux du Palacio real, qu’on pourrait nommer en ce moment le temple de la Miséricorde, deux cent mille lettres, venues de France, de Belgique, d’Angleterre, qui adressent au Roi la même supplication. De cette foule anonyme surgissent de grands noms, celui de Me Théodor, le vénérable bâtonnier des avocats de Bruxelles ; celui de Mme Carton de Wiart, de la comtesse de Belleville, de Mlle Thullier, de Nijinsky, le fameux danseur russe, du journaliste Jantchestizky, de ces professeurs tchèques sauvés de la mort ou de la captivité par l’intervention directe du Roi, qui bataille à coups de télégrammes, pour sauver ces existences, dépêche son ambassadeur, presse les négociations... Miss Cavel aurait été sauvée, comme ses deux compagnes, Mlle Thullier et la comtesse de Belleville, si les démarches, ordonnées par la pitié du Roi, avaient pu commencer plus tôt.

Chaque matin offre un nouveau combat ; mais, le soir, le jeune Roi peut s’endormir doucement : comme l’empereur romain, il n’a pas perdu sa journée. C’est cette journée d’Alphonse XIII que je voudrais raconter, telle que je l’ai vu vivre pendant mon séjour à Madrid ; mais d’abord, je veux évoquer la noble et chevaleresque figure de ce jeune souverain si populaire en France.