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loin du bruit du canon, dans la tranquillité des villes de province, toutes les victimes meurtries qui trouveront dans les innombrables hôpitaux de l’arrière qui ont surgi dans la France entière, par les efforts combinés du service de santé et de la bienfaisance privée, les soins de tous les instans qu’exige leur état.

Sans doute ils ne trouveront pas tous des chirurgiens d’égal talent. Le nombre des hôpitaux où sont dispersés les innombrables blessés de la guerre est trop grand pour le nombre des hommes ayant l’expérience et l’habitude de la chirurgie. Comme dans toutes les branches de l’activité humaine, les hommes de talent sont rares, et il ne saurait y avoir partout de « grands chirurgiens, » ni même de bons chirurgiens. C’est une fatalité devant laquelle il faut s’incliner et le service de santé, après avoir corrigé les premières erreurs dont j’ai parlé plus haut, et s’être efforcé de confier les blessés à des hommes capables de les soigner, a créé des chirurgiens de secteur, qui ont sous leur surveillance toute une région et qui, au prix d’un travail parfois excessif, peuvent opérer eux-mêmes tous les grands blessés de leur zone ou diriger leur traitement. Ces chirurgiens chefs de secteur sont pour la plupart des chirurgiens qualifiés, venant des hôpitaux de Paris ou des grandes villes. Ils rendent d’inappréciables services.

Mais, il faut bien le dire, cette chirurgie de l’arrière, celle que font la plupart d’entre nous, n’est pas comparable à la chirurgie que nous connaissons tous et qui donne chaque jour des preuves nouvelles de sa puissance et de sa véritable beauté. Quand les blessés ne nous arrivent pas guéris, ou à peu près, ce qui est commun, ils présentent alors, à un degré plus ou moins marqué, ces accidens d’infection dont j’ai tant parlé jusqu’ici et qui donnent à cette chirurgie quotidienne un caractère particulièrement douloureux. C’est la chirurgie des fractures infectées, des plaies avec décollemens profonds et drainages étendus, des corps étrangers non extraits, des accidens de toute sorte dus aux blessures des nerfs, si rares dans les conditions ordinaires et si communes aujourd’hui, des mutilations de toute espèce, et en particulier des mutilations de la face, qui nécessitent des opérations autoplastiques souvent multiples pour redonner figure humaine à ces blessés malheureux entre tous ; des fistules osseuses enfin, récidivant sans cesse, parfois interminables,