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C’est enfin de l’ambulance que partiront, emportés vers l’arrière par les trains sanitaires, tous les blessés en état de voyager qui laisseront la place à des blessés nouveaux.


L’ambulance de première ligne qui, dans la guerre actuelle, par la force des choses et en dépit de son nom, est devenue immobile, est, en somme, le centre chirurgical le plus actif et le plus mouvementé. Certains chefs d’ambulances ont parfois sans repos, pendant des jours et des nuits, opéré des malades par centaines, et, emportés par l’exaltation des grandes heures qu’ils vivaient, fourni un travail qui paraît au-dessus des forces humaines. Que de blessés leur doivent la vie ! Mais, hélas ! combien sont morts entre leurs bras que leurs efforts n’ont pu sauver !

Qu’elle est touchante et qu’elle est belle, la mort de ces héros obscurs, emportés par leur destinée dans le tourbillon de ce cataclysme géant et qui, sans bien comprendre toujours la grandeur de la cause pour laquelle ils meurent, marchent sans murmurer jusqu’au sacrifice suprême ! Et rien, ni les ravages de l’incendie, ni les ruines des villages détruits par le fer et le feu, ni les bois hachés de mitraille, ni les cadavres gisant au hasard parmi l’herbe des champs, rien ne fait comprendre plus douloureusement les horreurs de la guerre et le crime de ceux qui l’ont déchaînée, que la face pâle et muette du pauvre soldat mort sur son lit d’ambulance !

La tombe collective des soldats tombés sur le champ de bataille, creusée sur le lieu de leur sacrifice, et qui parfois n’est que la tranchée même où ils ont vécu leurs dernières heures, a quelque chose d’auguste et de magnifique. Ils sont là, couchés dans la terre sanglante qu’ils ont défendue jusqu’à la mort ! Il semble qu’ils n’aient pas voulu la quitter, et dans l’herbe des printemps futurs, dans les épis des moissons avenir, qui pousseront un jour sur cette terre fécondée par l’ouragan d’acier comme le sable du désert par une pluie d’orage, renaîtront pour la vie universelle les jeunes corps meurtris des soldats de la Grande Guerre. Gloire aux héros couchés dans la tombe anonyme ! Mais le soldat qui meurt à l’ambulance n’est plus l’inconnu qui tombe au cours de la bataille. Il s’en ira dormir à côté de ses camarades, dans un coin de terre sacrée, où ceux qui l’ont aimé pourront venir un jour s’agenouiller pieusement