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Telle est leur grande préoccupation en arrivant, la question anxieuse qu’ils posent. Oh ! non, pauvres enfans, nous vous gardons jusqu’à la fin de la guerre... L’un d’eux m’a dit :

— Quand je serai guéri, dans trois ou quatre mois, je retournerais bien en Allemagne pour laisser la place aux autres... C’est la justice...

Et cependant ils ont coutume de s’écrier :

— Retourner là-bas... autant mourir !

Il s’agit donc de prévoir un internement qui peut être de longue durée. Et il s’agit d’adapter nos hôtes à notre vie.

Une fois passée l’excitation du premier jour, ils laissent apparaître une sorte d’accablement. Ils donnent l’impression d’hommes désaccoutumés de l’action, désemparés, dont l’énergie s’est usée et qui ont de la peine à reprendre une discipline normale. Et puis, peu à peu, les soins, la nourriture abondante et leur jeunesse aidant, et aussi « les bains de l’air salubre et bienfaisant, » ils reprennent une allure d’hommes libres, et ils retrouvent le goût de vivre. Pour faciliter l’observation de la discipline militaire à laquelle ils sont soumis, les internés français, belges et anglais sont répartis dans les hôtels [1] suivant leur nationalité. On a pris garde, autant que possible, de ne point séparer les camarades venus d’un même camp et qui demandaient à rester ensemble. Dans chaque hôtel ils sont commandés par un sous-officier interné, « le chef d’établissement. » Et tous les « établissemens » d’une localité sont sous les ordres d’un sous-officier, le plus élevé en grade, nommé chef de secteur, et responsable vis-à-vis de l’officier sanitaire suisse dirigeant. Dans chaque lieu d’internement, un rayon de plusieurs kilomètres est offert à leurs promenades. Au delà de ce rayon, une permission devient nécessaire.

Le médecin en chef de l’armée, le colonel Hauser, dirige tout le service de l’internement des prisonniers de guerre.

Les internés sont prévenus dès leur arrivée que des infractions trop graves à la discipline seraient suivies du renvoi en Allemagne. Le fait ne s’est point encore produit. On aurait de la peine à se résoudre à une aussi dure mesure. Les insoumis, — sur un nombre d’hommes aussi considérable [2], il faut bien

  1. Les États belligérans remboursent à la Suisse les frais de nourriture et de logement, calculés le plus bas possible dans les difficiles conditions actuelles.
  2. Les prisonniers français internés en Suisse sont aujourd’hui au nombre de 8 930 ; 884 arrivèrent dans la première série de convois ; 8 066 dans la série de mai.