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la chirurgie moderne, et lorsqu’ils ont vu reparaître, sur les blessés de la guerre des Balkans, les grandes infections qu’ils n’avaient jamais vues, ils en ont été épouvantés et ils nous l’ont dit, dans des conférences, dans des articles de journaux, dans des communications aux Sociétés savantes, dans des conversations surtout. Mais même après leurs récits et leurs descriptions, l’immense majorité d’entre nous ne se doutait pas de la réalité, parce que nous ne l’avions pas vue de nos propres yeux.

Nous connaissions surtout la chirurgie de guerre par les œuvres des chirurgiens des armées de la Révolution et de l’Empire. Cette époque grandiose et qui, cependant, aux yeux de l’Histoire impartiale, paraîtra presque petite auprès de celle que nous traversons, a suscité toute une pléiade de grands chirurgiens militaires, dont quelques-uns, comme Desgenettes, comme Percy, comme Larrey surtout, sont demeurés quasiment légendaires et font partie de la phalange héroïque des soldats immortels groupés autour de l’Empereur ! Ce sont eux, en grande partie, qui ont écrit l’histoire de ces redoutables complications des plaies qui emportaient tant de blessés dans les guerres anciennes, l’infection purulente, l’érysipèle, le tétanos, et nous comprenons, à la lumière de ce que nous voyons aujourd’hui, comment la plupart des blessures profondes, comment surtout les fractures ouvertes étaient si fréquemment suivies d’amputation. Nous comprenons pourquoi, sur un blessé comme Lannes, qui cependant, si nous en croyons Marbot, n’avait qu’une fracture de la rotule, Larrey, quelle que fût la douleur intime qu’il en dût ressentir devant un blessé tel que le maréchal, n’hésita pas devant l’amputation. Nous comprenons comment en un seul jour, à Austerlitz, — la bataille immortelle, qui ne fut qu’un combat auprès des actions formidables qui se déroulent aujourd’hui, — le même Larrey, infatigable, pratiqua lui-même un nombre invraisemblable de grandes amputations !

Et cependant, à cette époque, les résultats étaient meilleurs qu’en 1870. Jamais la chirurgie n’a été plus meurtrière et plus décourageante qu’à la veille du jour de sa rénovation ! Il y a eu, précisément au moment des grandes guerres du commencement du XIXe siècle, une véritable régression dans la pratique de la chirurgie. Vers cette époque, on abandonna les pansemens au vin aromatique et à diverses substances antiseptiques dont on usait empiriquement depuis le Moyen Age et on les remplaça