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suspects, et nous les lavions chaque jour. Sur 300 Russes il y en avait 295 qui avaient de la vermine jusque dans les sourcils. Nous les avons soignés avec des onguens et nous visitions leur linge chaque fois... Ce Belge, il est resté là-bas... Ils ont voulu lui donner la croix de fer. Mais il l’a refusée...

Dans un autre camp, ce fut un médecin français qui réussit à arrêter l’épidémie déchaînée. Il y avait déjà deux mille morts quand il parvint, à force de courage, à s’en rendre maître. Plusieurs médecins français sont morts.

Enfin voici, textuellement rapportée, la déposition qu’un Français interné à Yverdon a adressée à un officier interné dans le même secteur [1]. Après avoir raconté qu’étant parti de France avec l’aviateur Védrines, il fut fait prisonnier au fort de Blangy, près de Saint-Mihiel, il poursuit :

« Je tiendrais à vous annoncer que le caporal aviateur Gilbert, de Charleville, fout en remplissant une mission analogue à la mienne, resta environ pendant dix jours dans les pays occupés. De là il voulut regagner la France et la Hollande. Mais en franchissant la troisième barricade de fils barbelés qui entouraient la frontière hollandaise, le camarade Gilbert fut pris par les Allemands. Ensuite ramené à Laon, il fut condamné à mort par le Conseil de guerre de cette ville. A la suite de ce jugement, il fut exécuté le 5 septembre 1915. Il demanda sa grâce à l’Empereur, mais elle lui fut refusée. Comme j’ai été enfermé dans sa cellule, j’ai remarqué sur le mur une inscription faite de sa propre main, dont voici les termes précis : « Prévenir ma mère qui habite Brest (Finistère), que, ayant bien rempli mon devoir envers ma Patrie, je ne vais mourir qu’avec un seul regret, savoir si j’ai quelque chose à me faire pardonner d’elle. »

Et l’interné demandait qu’on voulût bien prévenir la mère de Gilbert et qu’on lui transmit le message.

Gilbert qui allait mourir, et qui sut envoyer à sa mère tout son amour dans cette parole sublime, encore un de ces héros obscurs qui font la France si grande !


— Quand nous serons guéris, dans deux mois... dans trois mois, est-ce qu’il faudra retourner en Allemagne ?

  1. Document communiqué par le commandant L..., interné à Yverdon.