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C’est un peu difficile, la pensée en est parfois fuyante, mais avec un bon dictionnaire on arrive à tout.

— Merci. Je note. Mallarmé, deux l ?… Merci. Une question : trouvez-vous mon accent bien mauvais ?

— Mais non, mais non… Un peu dur, un peu guttural, mais l’articulation est bonne.

— Cela tient à l’excellence de nos méthodes. Dans nos séminaires d’instituteurs, nous apprenons intuitivement et phonétiquement. C’est la méthode allemande. Oui, messieurs les Français là aussi ont à puiser.

— Sans doute… Et votre banquet, c’était intéressant ?

— Magnifique !… Le négociant, qui est un pur de l’Alsace, a tenu un discours remarquable. Comme tout homme qui réfléchit, il est venu pas à pas au point de vue allemand. Il a compris notre force irrésistible. Il a su jeter le sentiment derrière le dos, l’élégance latine, comme vous dites, et se rallier, avec armes et bagages, à notre culture. Nous sommes, n’est-ce pas ? c’est incontestable, le peuple qui doit diriger, le peuple organisé en vue d’une conquête rationnelle, d’une mise en valeur normale du capital humain. Nos philosophes, nos savans, nos hommes d’État préparent la chose. Voyez : au xviie siècle, nous étions divisés, rêveurs, idéologues, et nous fûmes le champ de bataille de l’Europe. Plus tard, nous aimions les fleurs, le clair de lune, l’amour, les théories mystiques. Alors Napoléon s’est montré qui nous a mis le pied sur le ventre, sur le ventre, oui, monsieur !… Et il a eu raison, puisque nous étions faibles. L’Allemagne s’est recueillie. Elle a réfléchi. Elle a élaboré la doctrine. Bismarck, notre grand Bismarck, avec son grand balai, a poussé dans la rivière la pitié, les divagations (vous dites ?) sur la liberté, l’égalité, la fraternité. Et nous avons battu l’Autriche, battu le Danemark, battu la France, en attendant les autres. Cette force que nous avons, porte son triomphe dans sa vérité. Elle dit, en effet : seul l’homme fort peut se réaliser. De la sorte, on fabrique l’humanité. Les forts commandent. Les faibles obéissent. Et tout marche enfin… C’est ce que nous avons proclamé avant-hier, au banquet anniversaire de Sa Majesté. Ou bien l’Alsace, dont nous avons poussé la barque sur le fleuve de la civilisation, devient un cheval de notre voiture impériale, ou bien elle refuse de tirer et elle crève misérablement. Du reste, cela nous