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présidens, vice-présidens, secrétaires et trésoriers des Kriegervereine ou associations des guerriers : quarante et un hauts de forme, exactement, quarante et une redingotes, quarante et un parapluies aussi. Et Kraut, Kummel et Döring sont là, c’est entendu. Sur les poitrines, des médailles, de quoi décorer une division. Devant les redingotes, — cedant togae armis, — ceux qui, à un titre quelconque, ont droit à un uniforme : officiers de réserve, officiers de réserve en retraite, conseillers intimes et très intimes, panaches, épaulettes, éperons, bottes, de l’or, des aiguillettes, des ventres sévèrement réprimés par le ceinturon bouclé au dernier cran. En tête du cortège, six musiciens prêtés par une chapelle régimentaire. Bref, la mobilisation des missionnaires de l’Idée nationale. Ces hommes sont beaux à force de conviction. Ils ont charge d’âmes. Ils sont les prêtres d’une religion. Le chef leur a dit : « Va !… » Et ils vont. Le souffle du scepticisme ne les effleure point. Sentinelles avancées du Deutschtum en un pays rebelle, ou plus exactement perverti par les influences étrangères, ils doivent imposer la Vérité. Faiblesse que les sentimens, perversion et maladie que le culte du souvenir !…

Vous riez, vous qui ne les avez pas vus. Vous haussez les épaules. Vous parlez de charge grotesque, de caricature indigne… Venez, vous dis-je, vous qui vivez paisiblement dans vos pays libres, écartez le rideau, regardez : sous la pluie, le balancement de ces quarante et une redingotes, ces sabres, ces casques, mais surtout ces fronts, ces mâchoires, ces moustaches à la croquemitaine, ces poings gantés, ces yeux furibonds dardés sur les façades vierges de pavois, et cette morgue des talons, ce dédain des épaules, cette infaillibilité des poitrines, cette doctrine qui suinte des crânes… : « Nous sommes les maîtres. Nous briserons la résistance. Dieu nous en donne le droit. L’Empereur nous en donne l’ordre. »

Ayant vu cette parade pangermaniste dans cette humble bourgade alsacienne, vous direz :

— C’est affligeant, mais rendez du moins hommage aux incontestables qualités de ces hommes.

— Oui, répond Victor Weiss, ils sont parfaits. Nous leur en voulons simplement de ce que depuis quarante ans ils sont assis sur nos cœurs. C’est lourd !

Quel banquet ! Copieux et arrosé. Parfois un chœur puissant.