Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/815

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
811
ON CHANGERAIT PLUTÔT LE CŒUR DE PLACE…

ce front bien dessiné, ces yeux sévères, cette bouche dure, cette moustache qu’accuse encore la poussière descendue depuis un an sur l’auguste effigie. Le buste est en place.

… Kuramel se lève. Il parle de Dieu, de l’Empereur, de l’Empereur et de Dieu. Il parle des colonies. Il parle des huit millions de soldats allemands. Il parle de l’influence de l’Allemagne dans le monde, de tout ce qu’il lui reste à accomplir pour que ce monde soit purifié des péchés qui le rongent, pareils à une lèpre. Armé d’une baguette, il montre sur la carte, à travers les océans bleus, la route suivie par les paquebots allemands. Il montre, au Brésil, en République Argentine, au Nicaragua, en Chine, partout, cent jeunes Allemagnes en voie de formation. Dieu le veut ! Avec une ferveur mystique, il dit la reconnaissance de l’Alsace, sa joie d’être au peuple-roi, l’encens qui fume sur les autels, monte jusqu’aux trônes de Dieu et de l’Empereur, de l’Empereur et de Dieu.

Les petits-fils de ceux qui moururent pour la France écoutent. Innocens, le plus grand ne dépasserait pas une botte de la tête, ils ouvrent la bouche pour mieux écouter. Et voilà que Kummel se tourne vers le buste devant lequel il s’incline avec dévotion. Et par trois fois, les bras au ciel, une lueur dans la pupille, frémissant des épaules au ràble, il lance au plafond : « Hoch ! hoch ! hoch ! … » La classe, qui trouve cela très drôle et qui aime le bruit, répète avec force : « Hoch ! hoch ! hoch ! … > » Sur un signe, les mômes se massent. Bonnet à la main, rangés en demi-cercle autour du buste, ils entonnent : Deutschland, Deutschldnd über alles

C’est fini. Ils sortent, les mômes. Et comme ils sont leurs maîtres, maintenant, marquant le pas, jetant leurs bonnets en l’air, ils chantent à tue-tète :

Wenn der Kater nicht haarig ist
Fängt er keine Mause

C’est plus spontané que le Deutschland über alles !

Enveloppé dans un numéro de la Strassburger Post, le buste impérial est transporté par le Lehrer Kummel dans la grande salle du Zum weissen Lamm.

Peu après, le cortège quitte la gare, tous les fonctionnaires de Friedensbach, grossis des douaniers, forestiers, facteurs, gardes champêtres et gratte-papier des environs, grossis des